Tuesday, December 14, 2010

La lutte contre la Gabegie

Pour commémorer la journée internationale contre la corruption, l’UPR, le plus grand Parti politique de la majorité présidentielle a organisé un débat sur la gabegie et conclu une entente avec les hommes de Adil vilipendés comme les symboles de cette même gabegie. La grande salle du Palais des Congres était archicomble, il y avait la un nombre impressionnant de hauts fonctionnaires et de courtisans, d’hommes d’affaires et de courtiers, et d’activistes et militants. On pouvait voir dans les premiers rangs, le Président de la Haute Cour de Justice, l’Inspecteur General de l’Etat et bien d’autres dont les fonctions devraient normalement les restreindre à un minimum de réserve. Les mentalités n’ont donc pas évolué, le show politique est toujours considéré comme le meilleur moyen de se faire valoir ; la séparation formelle entre les fonctions politiques de leadership et celles techniques managériales de direction et de contrôle n’est apparemment pas encore a l’ordre du jour. Malgré le discours, les slogans et la psychose, la réalité reste sur le fond inchangé. Les ressources de l’Etat et de la Nation sont toujours aux mains de ceux qui sont les plus mal placés pour assurer leur meilleure gestion. La médiocrité continue de ronger le fonctionnement de l’Etat. Aucun changement systémique n’a été introduit dans la manière de gérer les affaires publiques qui nous emmène à croire que l’ère des détournements et du gâchis est irrémédiablement révolue.

Diaw est un diplomate de carrière à la veille de la retraite. Il y a 35 ans, il est devenu fonctionnaire au Ministère des Affaires Etrangères à l’issue d’une formation à l’Ecole Nationale d’Administration (ENA)- un cursus de deux ans destiné à préparer des cadres de haut niveau pour les fonctions diplomatiques et consulaires. L’ENA était une école d’élite selon les standards de l’époque et avait vocation à le demeurer avant qu’elle ne soit rongée par le même virus qui a eu raison de toutes les institutions de l’Etat mises en place au lendemain de l’Indépendance. Diaw a vu plusieurs de ses promotionnaires accéder aux fonctions prestigieuses d’ambassadeur et de consul. Pour lui, cela n’a jamais été possible pour des raisons qui ne lui ont jamais été clairement explicitées. Son expérience et ses qualifications ne lui ont valu que d’être balancé d’une ambassade à une autre selon les caprices des gestionnaires du personnel au Ministère. M. Diaw ne fait pas de politique et ne dispose pas de connections au sein de l’appareil d’Etat.

Mohamed n’a jamais fait de concours pour acceder à la Fonction Publique et n’a jamais suivi une formation en diplomatie. Son cursus universitaire se limite à une maitrise de la Faculté de Nouakchott et une année passée au fameux institut de la ligue en Arabe au Caire dont le diplôme n’est reconnu par aucun pays a l’exception de la Mauritanie. Il se fait recruter au corps très convoité des professeurs de l’enseignement supérieur dont l’accès est au passage interdit a des docteurs d’universités prestigieuses et d’enseignants expérimentés pour des raisons dit on de limite d’âge. Il n’enseignera pas mais utilisera son nouveau statut de fonctionnaire pour se faire nommé premier conseiller diplomatique au Caire ou il restera une quinzaine d’année avant d’être copté comme ministre dans le Gouvernement éphémère de Yahya O El Waghef. Le Président de la République le nommera ambassadeur dans l’un des pays du Golf. Mohamed est le cousin de Bennahi O Ahmed Taleb, l’ancien directeur du Cabinet du Président Ould Taya, et le mari de la sœur de la femme du Général Gazwani.

Ces deux exemples loin d’être uniques illustrent les contradictions du Pouvoir actuel qui tout en fondant sa légitimité sur la lutte contre la gabegie s’engouffre de plus en plus dans la gestion de la routine et ignore volontairement ou par incompétence les actions qu’il faut pour rendre une telle légitimité réelle et clairement irréfutable. L’entente avec Adil n’augure rien de bon et ajoute au discrédit d’un Pouvoir qui a été incapable de se distinguer de ses prédécesseurs dont il a adopté les méthodes avant de copter les hommes.

La gabegie dont la lutte contre est devenu un slogan pour le pouvoir issu du Coup d’Etat du 6 Aout 2008 et a justifiée la déposition du premier Président élu de la Mauritanie est un mal endémique dont le traitement nécessite plus que des mesures superficielles, limitées dans le contenu et la durée et détachées d’une stratégie cohérente et réfléchie visant a changer profondément la manière dont sont gérées les affaires de l’Etat dans notre pays. Elle trouve sa source dans l’injustice et l’irrationalité des processus de sélection pour les emplois publics et l’absence totale de procédures effectives d’évaluation et de contrôle des performances, a commencer par le plus prestigieux et le plus enviée des emplois publics le poste de Président de la République. Depuis que le père de la Nation et les chefs militaires qui lui ont succédé a la tête de l’Etat ont transformé les élections en formalité pour les confirmer dans ce qu’il considère comme leur droit naturel et vidé de toute substance les procédures qui limitent et balancent leur pouvoir, le signal a été donné implicitement a tous ceux qui détiennent une parcelle minime soient elle de l’autorité publique d’agir de la même façon. Le service public tel qu’hérité de l’administration coloniale s’est vite Mauritanisé, non pas dans le sens d’une symbiose entre la modernité et les valeurs de l’Islam tel que l’ont voulu les pères fondateurs de la Mauritanie mais sur un mode tribal très proche de ce qui prévalait avec la colonisation avec un réseau informel d’allégeance et de distributions des avantages très loin de la conception Jacobine ou Wébérienne de l’Etat. Cinquante ans après l’indépendance, pas une institution publique ne se distingue du reste par des règles impersonnelles bien conçues et justement appliquées de gestion de ses ressources qui peut constituer un modèle ou une source d’inspiration à imiter.

Cette échec lamentable des processus de gouvernance qui a débouché sur les formes de gabegie qu’on connait trouve sa source en grande partie dans l’incapacité de l’élite éduquée a s’accorder durablement sur un minimum de principes et de valeurs gouvernant les manières dont sont gérées les affaires de l’Etat. Les domaines et compétences de ce dernier sont, rappelons le, des notions complètement étrangères a la société traditionnelle et méconnues, voire rejetées par ses leaders. Si l’élite éduquée, éclairée par les connaissances et les savoirs accumulées sur une longue durée, est incapable de s’accorder sur des aspirations communes et des procédures pacifiques de règlements des conflits, que dire du reste d’une société marquée par des siècles de vendettas tribales, de violences comme méthode privilégiée de résolution des conflits, d’esclavage et d’animosité sociale.

Cinquante ans après l’Indépendance, l’enchevêtrement des compétences, la dilution des responsabilités et l’ineffectivité des contrôles restent les traits marquants de la gouvernance en Mauritanie. Pire, aucune des formations et leaders politiques qui comptent n’a articulé une vision claire de ce qui doit être fait pour changer cet état des choses. Le dialogue politique ne s’est jamais centré sur ces questions fondamentales, ni aboutit a des propositions partagées de reforme des institutions constitutionnelles dans un sens qui assurent une redistribution plus balancée des pouvoirs et une agrégation des structures pour limiter leur nombre et minimaliser leur cout.

Le Président de la République dont le pouvoir réel n’a pas de limite doit comprendre qu’il est de son intérêt et de celui supérieur de la Nation de volontairement circonscrire son pouvoir à la supervision du travail de son Gouvernement et de son administration. Il n’y a aucun risque que ses prérogatives soient menacées par un Parlement et un appareil judiciaire dont le degré d’autonomie reste très dépendant du bon vouloir de l’Exécutif. Le Chef de l’Etat doit trouver les gestes et les mécanismes pour signifier au juges et au parlementaires qu’ils n’ont de comptes a rendre qu’a leur conscience et au peuple qui les a élus. Il doit se débarrasser de la Primature qui n’a pas de place dans un système qui même si il revêt un faux habit de semi-parlementaire est en réalité un régime présidentiel avec le contrôle parlementaire en moins.

Pour permettre aux juges de dire le droit en toute indépendance, leur nomination doit faire l’objet d’un débat parlementaire pour jeter la lumière sur leur compétence et leur intégrité. Avant d’être confirmé dans son poste et bénéficier de l’inamovibilité que lui confère la loi, un juge nouvellement nommé par le Gouvernement peut passer devant le Parlement pour convaincre les élus du peuple de sa capacité à assumer sa fonction et obtenir ainsi une confirmation de son rôle et de son indépendance vis-à-vis de l’Exécutif.

Le Parlement qui n’a jamais produit une loi ni censuré le plus petit des fonctionnaires doit être limité a une seule chambre. C’est l’avis de la majorité de ceux qui s’intéressent aux affaires publiques en Mauritanie. Le Senat coute cher et sa valeur ajoutée est inexistante. Les modes de désignation des sénateurs sont injustes et favorisent la corruption des élus locaux. Sa suppression permettra de dégager des moyens qui peuvent servir à améliorer le travail de l’Assemblée Nationale. Les députes même si leur traitements sont convenables manquent de moyens logistiques et d’expertise sans lesquelles leur travail reste dépourvu de consistance. Les députes et les commissions parlementaires doivent disposer d’assistants qualifiés et de documentation pour rendre effectif leur pouvoir d’analyse, d’investigation et d’évaluation.

Le dialogue politique réclamé par l’opposition et voulu par le pouvoir n’a de sens que s’il s’intéresse à ces questions fondamentales et cherche à arriver à un compromis réel sur un système de séparation et d’articulation des pouvoirs constitutionnels que les acteurs politiques s’engagent à respecter.

L’efficacité de l’action publique est aussi intrinsèquement liée à la mise en place d’une bureaucratie d’Etat dont l’autorité découle d’une expertise reconnue dans la résolution des problèmes qui se posent à la société. Que ce soient les mandarins chinois, les Enarques français ou ces animateurs de think tanks américains qui se recrutent essentiellement parmi les anciens élèves des grandes Université de la cote Est, il s’agit toujours de placer aux commandes des systèmes de pilotages de la société les plus intelligents et les plus capables. Les chercheurs et professionnels de la gestion des ressources humaines ont conçu des instruments perfectionnés qui permettent d’assurer une adéquation optimale entre les hommes et les taches qui leur sont assignées dans une optique d’un maximum d’efficacité économique et sociale. Ignorer ces aspects a déjà couté très cher à notre pays et risque de lui couter encore plus si rien ne change dans la manière dont sont gérées les affaires de l’Etat.

Le Président de la République a visité le Lycée d’excellence nouvellement créé a Arafat et appelé les élèves a redoubler d’effort et a s’orienter vers les disciplines scientifiques ou la rigueur est de mise. Son Gouvernement promet de multiplier ce genre d’établissements et créer un nouvel campus universitaire avec une plus grande diversification des filières de l’enseignement supérieur. Le but louable est de combler le retard considérable dans la formation des cadres de haut niveau et de bonne qualité. Une orientation opportune qui s’accommode néanmoins très mal avec la persistance d’une gestion des personnels de l’Etat de manière approximative presque entièrement dominée par le népotisme et le clientélisme politique et social. Pire, l’Etat, le plus grand employeur, vers lequel se tourne la majorité des diplômés de l’Enseignement Supérieur n’offre pas de perspective de carrières intéressantes et ses capacités de recrutements sont limitées par la masse déjà présente d’agents non qualifiés, pour la plupart bons a rien, dont il ne peut se séparer pour des raisons dit on politiques.

Ni le Ministère chargé de la Fonction Publique, ni celui de l’Enseignement Supérieur ne disposent de stratégies appropriées pour sortir le Gouvernement de ce pétrin. Ils n’ont ni les compétences, ni les ressources pour mettre en place les mécanismes appropriés pour s’assurer qu’une compétition par le haut prend forme et s’installe dans la durée.

Cinquante ans après l’indépendance et vingt ans après les premières tentatives de reforme de la fonction publique (Projet de développement Institutionnel et de la Reforme mis en place à la fin des années 80 dans le cadre des plans d’ajustement structurel), l’Etat continue à ignorer le nombre exact de ses agents – malgré les recensements successifs de 1990, 2007 (Education Nationale), 2008, 2010 qui ont couté des fortunes. Pire, des milliers de fonctionnaires dont certains occupent les échelons supérieurs de l’administration ont été recrutés suivant des procédures illégales sous la pression de la demande clientéliste, le moteur principal de la croissance des effectifs de la Fonction Publique. Les agents de l’Etat n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation sérieuse comme si leur qualité et leur cout n’ont pas d’importance.

Dans tous les pays, il y a des standards pour évaluer les compétences, les niveaux de formation et de qualifications, et les aptitudes. En Mauritanie, le seul standard disponible est l’Université de Nouakchott, l’une des moins performantes sur le continent africain, une honte pour un pays qui a été à un moment une destination pour l’acquisition des savoirs.

Apres trente ans d’existence, la seule Université du pays continue de faillir à sa mission de créer un foyer national d’excellence pour l’acquisition des connaissances et la maitrise des savoir-faire nécessaires pour les techniciens et managers de haut niveau. Les étudiants y vont faute de mieux. Ses professeurs la quittent des que l’opportunité se présente. Ses diplômes peuvent être falsifiés. Ses diplômées grossissent le plus souvent les rangs des chômeurs sans qualifications. Malgré ses carences bien établies depuis sa création, rien de sérieux n’a jamais été fait pour changer cette situation. Pire, elle est devenue par la force des choses, le standard par défaut sur lequel se mesurent les diplômes obtenus par les Mauritaniens étudiants à l’étranger. Aussi, tous ceux qui vont passer quelque temps ailleurs peuvent revenir au pays bardés de diplômes, s’ils disposent de connivences au sein de la commission d’équivalence, une structure laissée à l’abandon malgré son importance et son utilité. Il n’est des lors pas étonnant que le plus court chemin vers la réussite professionnelle est d’aller au Caire passer une année sabbatique dans un centre de formation connu sous le nom pompeux de l’Institut du Monde Arabe, non reconnu par aucun pays, incluant l’Egypte, le pays qui l’héberge, et revient après un an bardé d’un diplôme de troisième cycle, le ticket favori pour l’entrée dans le corps très prisé des professeurs de l’Enseignement supérieur.

Notre pays regorge de ressources comme l’aime a le répéter ses responsables mais son élite sème depuis sa création les germes de sa déconfiture. Les clés de salut sont toujours et comme cela a été toujours le cas, dans les mains du Président de la République. Il est le seul responsable a board. Son ambition l’a poussé a occuper une place que personne ne doit lui envier considérant les responsabilités qu’elle implique et pour lesquelles il répondra au moins devant Allah et certainement devant l’Histoire, si histoires il y a.

Le Président de la République n’a le choix qu’entre s’élever au niveau des responsabilités historiques qui sont les siennes pour créer les conditions d’une renaissance de la Nation Mauritanienne ou devenir l’esclave de son ambition et donc la marionnette d’une classe d’arrivistes sans foi ni loi qui ne voient en lui que le passage obligé vers la satisfaction de leur besoin de s’entretenir en permanence sur le compte de la collectivité. De ce choix dépend la qualité du contenu donné à la lutte contre la gabegie et le degré de légitimité du pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz.

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