Mardi 6 Novembre 2012, j’ai voté pour la première
fois dans une élection dont les résultats ne risquent pas d’être rejetés par le
malheureux candidat. Pour le Mauritanien que je suis qui n’a jamais vécu une
telle expérience dans sa vie même s’il approche la cinquantaine, l’événement
était historique. Je me réveille donc un peu plutôt que d’habitude et avant de
vaquer à la routine quotidienne du métro-boulot, je me munis de ma carte d’électeur
que j’ai reçu par voie postale quelques semaines auparavant et me dirige vers
le Lycée du quartier pour voter. Comme c’est la première fois que je vote dans
des élections Américaines, j’étais un peu anxieux de peur de faire l’une de ces
petites erreurs qui empêchent le vote de compter. L’élection étant très serrée en
Virginie, je tenais à ce que ce premier vote compte. J’ai soudainement pensé au
dépouillage des bulletins durant l’élection présidentielle de 2009 à Washington
ou je représentai le candidat Mes’ud Wul Bulkhayr et le nombre relativement élevé
des votes rejetés pour non respect des procédures, surtout parmi les votes pour
Ahmed Wul Daddah, qui sont sensés prendre l’élection très au sérieux. J’en ai
déduit qu’il faut garder son calme et arriver au lieu en pleine capacité de mes
facultés mentales.
Quand j’arrive au Lycée, je suis accueilli
à la porte par deux personnes qui distribuaient des tracts de campagne comme
quoi aux Etats-Unis la campagne ne s’arrête que par la proclamation des
résultats. L’une des deux personnes me propose un papier jaune, préparé par la
campagne du parti Démocrate, qui explique la procédure de vote et fournit les
noms de ses candidats. Je le prends car j’ai l’intention de voter pour leurs
candidats. Aux Etats-Unis d’Amérique, toutes les élections qu’elles soient fédérale,
locale, ou au niveau intermédiaire des Etats se déroulent à la même place et le
meme jour, le Mardi suivant le premier Lundi du mois de Novembre, sur tout le
territoire des Etats Unis. J’avais donc à voter, non seulement pour le Président,
mais aussi pour un sénateur et un député et répondre par oui ou non à quatre
questions référendaires, trois d’entre elles concernent le niveau local,
Fairfax County, et une relative à un amendement de la constitution de Virginie,
l’Etat ou j’ai élu domicile. Comme j’ai l’intention de voter pour les candidats Démocrates, le papier me donne leurs noms ainsi que l’avis du parti sur les
questions referendaires.
C’est l’occasion de signaler l’emprise du
bipartisme sur le système politique Américain. Il est rare en effet qu’un indépendant
fraye son chemin dans un pays ou les citoyens n’ont pas que la politique à
faire et ou pour se faire connaitre il faut beaucoup d’argent et une puissante
machine électorale pour gagner des élections. Comme moi, beaucoup d’américains
voteront pour le candidat d’un parti sans nécessairement lire son programme ni
s’enquérir de ce qu’il pense à moins qu’il ne fasse une bêtise médiatique qui
le rend tristement célèbre. Beaucoup de candidats l’ont appris à leur dépend
cette année, surtout dans le camp Républicain sur les questions d’avortement et
de droit des femmes.
Quand je rentre dans le bâtiment, j’apprécie
la chaleur de l’endroit après le vent glacial de la rue. Mais la queue était
déjà longue. Des Lycées en profitent pour vendre du café chaux pour un dollar
le verre. J’en prends un pour me réchauffer davantage et commence à lire attentivement
le papier jaune. Je découvre les noms et l’emplacement sur le bulletin de vote
de mes candidats de préférence. L’attente dure plus de trois quarts d’heure
beaucoup plus qu’il ne faut pour lire le dernier numéro de Time magazine que
j’ai apporté avec moi et dont une grande partie est consacrée à l’élection.
Enfin, j’arrive à la porte de la salle ou se déroulent les opérations électorales.
Je reconnais le gymnasium du Lycée que
j’ai visité il y a un an, accompagnant ma fille Fatima pour la rencontre biannuelle
entre professeurs et parents d’élèves.
Avant de rentrer dans la salle, une dame
vint nous montrer un diagramme sur le panneau d’affichage à ma droite expliquant
le procédé du vote et nous rappeler de se munir d’une carte d’identification.
Comme j’avais ma carte d’électeur à la main, je sortis ma carte d’identité mais
la dame s’empressa de me dire que la carte d’électeur suffit, même si ma photo
n’y figure pas. L’instinct de Pavlov aidant, j’ai instantanément pensé aux possibilités
de fraudes que le parti républicain mentionne souvent pour justifier ses
demandes de contrôles plus renforcés sur les opérations de vote. Mais les enquêtes
indépendantes n’ont jamais établie un niveau significatif de fraude aux élections
américaines qui justifierait un changement de procédures qui, il faut bien le
reconnaitre, sont simples et dépourvus de ces tas de contrôles bien connus chez
nous en Mauritanie. C’est la rente de la
confiance, me dis-je.
Je rentre dans la salle avec quelques
personnes. Cinq agents de la commission électorale indépendante qui supervise
les élections nous font face. Ils utilisent des ordinateurs pour vérifier
l’identification des électeurs. Des que mon tour arrive, l’une d’elle me fais
signe d’avancer vers elle. Je lui tends ma carte d’électeur qu’elle vérifie en tapant
mon nom sur le clavier. Elle me demande de lui dire mon nom et adresse, ce que
je fais naturellement. C’est tout ce qu’il faut pour vérifier mon identité. Elle
me demande ensuite si je veux voter manuellement ou de manière électronique. Je
choisis la première méthode qui dans mon esprit disparaitra très prochainement à
mesure que les machines intelligentes étendent leur domaine sur les activités
humaines. Elle me montre une table à deux ou trois mètres à sa gauche sur
laquelle se trouvent des chemises jaunes contenant le bulletin de vote. J’en
prends une et me dirige vers le coté opposé du gymnasium, vers l’isoloir. En
fait, il ne s’agit pas d’un isoloir à proprement parler mais de quelques tables
de bureau agencées avec des chaises sur les lesquelles les électeurs s’assoient
pour cocher les cases qu’il faut sur le bulletin de vote. La discrétion du vote
est assurée par de petits cartons cubiques placés sur les tables. Je prends l’un des stylos déposés sur la table
et coche les cases : Obama pour le Président, Kaine pour le Sénateur et
Moran pour le député et pour les questions referendaires, je vote pour la
plateforme démocrate à l’aide du papier jaune que je continue d’avoir a la
main.
Je laisse mon bulletin glisser dans la boite
qui sert à cet effet et la dame qui s’en occupe me félicite pour avoir accompli
mon devoir civique tout en me remettant un autocollant sur lequel est inscrit
« j’ai votée » sur un fond de drapeau Américain et en me montrant le
chemin de sortie. Je mets l’autocollant sur mon pullover sur le champ. A mon arrivée
sur mon lieu de travail, le garde posté à l’entrée — une routine sécuritaire en
Amérique depuis Septembre 2001 — me félicite en voyant l’autocollant, preuve
que ce devoir civique est pris au sérieux dans ce pays, malgré le niveau bas de
politisation de ses citoyens et le discrédit de l’élite politique aux yeux de
beaucoup.
Le soir, je me retrouve avec Sidna, un
Mauritano-Américain de mon espèce, qui habite dans le même coin pour suivre les
résultats. Des les premières heures, le mood est favorable au Président Obama
et au parti Démocrate, en général, pour des raisons essentiellement de
changements démographiques. Les nouveaux Américains comme Sidna et moi, de plus
en plus nombreux en proportion de la population totale, votent en général pour
les Démocrates, perçus comme plus ouverts et plus sensibles à leurs
préoccupations. Vers 23h 30, la plupart
des résultats sont connus. Le Président Obama est élu pour un second mandat, le
parti Démocrate renforce sa majorité au Senat mais les Républicains gardent le contrôle
de la chambre des représentants. Mitt
Romney, le candidat Républicain malheureux, félicite le Président réélu, comme
c’est la tradition dans ce pays. Après une campagne électorale ou tous les
coups sont permis, la nation doit retrouver son unité, c’est la règle du jeu démocratique.
Le Président Obama sera aux command
pendent les quatre prochaines, sauf en cas d’empêchement par maladie, décès, ou
décision du parlement pour haute trahison ou entrave a la justice. Les généraux
de la plus puissante armée du monde seront sous ses ordres et aucun d’eux ne
pensera faire un coup d’Etat — cela n’est jamais arrivée durant les plus de
deux siècle de vie de la plus vielle constitution écrite du monde. Il ne pourra
cependant gouverner sans le parlement qui le contrôle de prés et peut, en
particulier, lui refuser l’argent et les nominations nécessaires au
fonctionnement de son administration.
La
constitution des Etats-Unis d’Amérique a institué une séparation nette des
pouvoirs exécutif, législatif et judicaire et un système unique de contrôle mutuel,
check and balance, qui permet à chacun des trois pouvoirs d’exercer un contrôle
sur les autres. C’est ainsi que les projets lois (bills) dont l’initiative
et le vote sont du ressort du parlement ne peuvent être promulgués sans l’accord
du Président qui doit les signer pour qu’ils deviennent lois exécutoires. Mais
le Parlement peut paralyser le Président en lui refusant les crédits de
fonctionnement, y compris les traitements et salaires de fonctionnaires, et les
nominations aux emplois supérieurs de l’Etat. Les juges quant à a eux sont
inamovibles et ne répondent qu’a leur conscience et leur compréhension de la
constitution. Ils peuvent ignorer une loi pour inconstitutionnalité and traite
l’administration comme le commun des mortels. Les juges sont nommes par le Président
mais leur nomination doit être avalisées par le Senat, comme d’ailleurs pour
tous les emplois supérieurs de l’administration.
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