Thursday, February 4, 2010

Ne touche pas à mon drapeau

Il y a cinquante ans la Mauritanie devenait indépendante. La France, fatiguée par les guerres d’Indochine et d’Algérie et lassée d’une entreprise coloniale qui n’offrait plus les avantages ni les promesses du siècle précédent entamait depuis quelques années un processus de décolonisation qui pour notre pays aboutit le 28 Novembre 1960 par cette déclaration, sous la tente, de notre Independence nationale. Moktar Ould Daddah devenait the chef d’un projet d’Etat et de République et créait avec le petit noyau de la future élite le premier symbole de la nouvelle souveraineté. Le drapeau et l’hymne nationaux voient le jour, ils n’ont jamais depuis lors été mis sérieusement en cause. Ils restent les rares symboles auxquels les mauritaniens sont sentimentalement attachés. Leur changement n’apporte rien de positif et son cout financier n’est pas négligeable pour un Etat en difficulté de payement.
Les journées de réflexion organisées récemment par la majorité présidentielle sont une bonne initiative. Les partis d’opposition auraient été mieux inspirés de participer a ce dialogue informel pour évaluer les acquis et les défis après un demi siècle d’indépendance et les perspectives d’avenir. Le débat a cependant comme il est de coutume éviter les questions de fonds pour finalement conclure sur des propositions qui n’attirent l’attention que par cette demande insolite de changer le drapeau et l’hymne de ce pays comme si ces derniers symbolisaient, dans la conscience collective, la gabegie, l’injustice, la dictature ou l’oppression.
Au contraire, la Mauritanie a besoin de conserver les symboles de sa souveraineté, maintenir vivace la mémoire de ses premières années d’indépendance comme source d’inspiration pour les générations présentes et futures et retrouver l’élan, l’esprit et la volonté de ses pères fondateurs qui ont donnée de leur mieux pour construire cette communauté de destin.
En 1960, le pays n’était pas préparé à l’indépendance. Ces populations n’ont d’ailleurs pas cherché cette auto-détermination que la puissance coloniale leur a octroyée. Beaucoup de notables voyaient avec inquiétude le passage à une autorité autochtone qui serait à leurs yeux inapte au commandement et incapable de dépasser les contradictions sociologiques précoloniales. La rareté des cadres, l’absence d’infrastructure scolaire, et le peu de ressources naturelles conjuguées aux challenges de la reconnaissance internationale étaient de nature à décourager les plus zélés des indépendantistes. Le noyau de la future élite regardait au nord ou au sud, chacun selon son appartenance ethnique pour une alternative a un Etat national qui reste aux yeux de la majorité peu viable, l’administration coloniale n’ayant eu ni le temps ni les ressources de créer une infrastructure durable pour une autorité centrale incontestable. Les défis était énormes et rares étaient ceux qui pouvaient parier qu’un demi siècle plus tard, la Mauritanie serait ce qu’elle est aujourd’hui.
L’indépendance a réussi. Le pays a consolidé son unité nationale, mis en place les bases d’un Etat moderne et s’est enrichi et démocratisé. N’eut été le PPM (Parti du Peuple Mauritanien) et la guerre du Sahara, la Mauritanie aurait certainement mieux réussi son évolution vers l’économie de marché et l’Etat de Droit. Mais dans l’ensemble, les mauritaniens sont relativement et dans l’absolu mieux éduqués, plus riches que leurs parents et leurs aspirations collectives s’expriment de mieux en mieux a travers les instruments d’une expérience communautaire qui commence a murir.
Ces progrès sont, cependant, en grande partie l’effet de l’action du reste du monde (bailleurs de fonds, pays amis et ONG internationales) et peu perceptibles tant la détresse, la pauvreté et l’ignorance restent le lot de la grande majorité des populations. L’Etat national n’a pas bien joué son rôle régulateur et ceux qui ont le plus profité de ses largesses donnent peu en retour. Les injustices structurelles et les grandes inégalités dans la répartition des richesses rendent nos compatriotes anxieux, pessimistes et peu confiants dans leurs capacités de développement, avec cette propension croissante, au chacun pour soi et au sauve qui peut. Pire, la haine de l’autre habite désormais les esprits suite à l’effet conjugué de l’exclusion, l’ignorance, l’injustice et la pauvreté. Il est temps de prendre conscience de ce phénomène et d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
Plus que tout, la Mauritanie a besoin d’un leadership qui montre a ses citoyens que ce qui les unit est plus fort et plus durable que ce qui les sépare, non pas par cette traditionnelle langue de bois qui vide les mots de leur sens mais par des actes forts qui les mettent devant leurs responsabilités individuelles et collectives et les incitent à s’instruire, produire, servir et aimer.
La Mauritanie souffre, victime d’un mal qui peine à se dissiper, une gouvernance couteuse sans vision claire qui offre peu de services au commun des citoyens et permet a une minorité de s’accaparer les richesses par le truchement de la prébende, de la corruption et des passe-droits. Les Gouvernements successifs démocratiques ou non n’ont jamais attaqué ce mal par la racine. Ils ont laissé se développer une culture de l’impunité et de laisser aller qui favorise le gâchis et la récidive. La lutte contre la gabegie, l’un des principaux chantiers du Gouvernement actuel donne déjà des signes d’essoufflement et connaitra probablement le même sort que toutes les campagnes qui l’ont précédé. Le pays ne peut cependant continuer dans sa trajectoire traditionnelle sans connaitre un démembrement certain sous le poids des forces centrifuges de l’extrémisme et de la criminalité.
Une réflexion sérieuse doit se concentrer sur les voies et moyens d’améliorer la gouvernance de ce pays en commençant par évaluer l’utilité et la pertinence de ces multiples institutions constitutionnelles et ces structures administratives qui se superposent les unes sur les autres, engloutissant des ressources financières, humaines et matérielles énormes dont le redéploiement sur des secteurs prioritaires comme l’éducation et la sante parait d’une extrême urgence. Dans le cadre, le plus bénéfique des changements serait de modifier la constitution.
La Mauritanie n’a jamais eu de constitution au vrai sens du terme. Le texte qui tient lieu de loi fondamentale a été promulgué dans un contexte politique ou l’homme fort de l’époque voulait se donner une façade démocratique sans en payer le prix réel, en termes d’alternance et de partage d’autorité. Il a demandée a ses conseillers de lui produire un texte qu’il a fait voter par le peuple a travers un processus unilatéral qui n’avait prévu aucune place pour le débat, le dialogue et la négociation entre les forces politiques et les organisations de la société civile. Le produit manquait d’originalité, ses rédacteurs se sont limités à copier la constitution de la cinquième république française, à la virgule prés.
La constitution de 1991 n’en a pas été une. Elle a été acceptée par défaut, faute de mieux mais ses atteintes répétées par ceux-là même qui sont sensées la protéger ont fini par la vider de tout contenu. Personne ne l’a défendu quand le coup d’Etat d’Aout 2005 l’a rendu caduque. Les principales institutions qui en tiraient leurs légitimités ont été dissoutes par un conseil d’officiers supérieurs. Les amendements qui lui ont été apportées en 2006 l’ont été suivant le même procédé, toujours dans l’ignorance qu’un texte d’une telle valeur doit nécessairement refléter les aspirations profondes (et les meilleurs moyens de les satisfaire) des populations exprimées a travers des représentants élus suivant des procédures libres, justes et transparentes. Quand en 2008, est déposé le premier Président démocratiquement élu de la RIM, a la surprise et a la déception du reste du monde, l’appel au respect de la constitution ne trouve pas d’échos ni dans les masses populaires tant le texte parait éloigné de leur préoccupations, ni dans l’élite et particulièrement les élus qui ont fait peu de cas d’un texte duquel pourtant ils tirent la légitimité de leur mandat. Le conseil constitutionnel a trouvé les artifices qu’il faut pour répondre au besoin de l’homme fort du moment. N’eut été les pressions de l’Occident et les menaces de tarissement d’une aide internationale qui maintient le pays sous perfusion et permet a l’élite de se la couler douce, personne n’aurait parlé d’ordre constitutionnel et le FNDD n’aurait certainement pas existée en tout cas pas sous cette forme dynamique et vocale qu’on lui a connu pendant un an.
Rien dans les usages et les principes n’empêche le Président de la République d’avoir sa constitution, taillée sur mesure comme celle qui l’a précédée mais elle n’aura ce caractère transformationnel et futuristes propres aux textes fondateurs que si elle exprime les aspirations profondes du peuple à travers les opinions bien élaborées de ses représentants élus suivant des procédures justes et transparentes. Un tel scenario parait peu envisageable à l’heure actuelle compte tenu de la fragmentation de la classe politique, l’absence d’une volonte de dialogue sur les questions de fonds, et les pauvres performances en termes de respect des engagements et de la parole donnée sur les cinquante dernières années.
Le Président de la République ferait toutefois œuvre d’utilité publique si au moins il nous débarrasse d’un texte qui coute cher à la collectivité sans lui fournir les garanties traditionnellement établies en termes de séparation des pouvoirs et de protection des droits. Il pourra le remplacer par une charte sur l’honneur qu’il s’engage à respecter et à faire appliquer. Ce n’est pas le plébiscite populaire qui va manquer. Chacun des trois pouvoirs constitutionnels sera limité à une seule entité, exit du Premier ministère, du Senat, du Conseil constitutionnel et de la cour des comptes. La création des structures consultatives comme le Conseil Economique et social et le Conseil supérieur Islamique et exécutives comme les départements ministériels devraient relever du domaine de la Loi pour donner aux législateurs le moyen d’un contrôle plus effectif de l’exécutif. Une simplification qui permettra aux citoyens de voir plus clair dans le fonctionnement de leur Etat et surtout arrêter cette prolifération des structures génératrice d’incohésion et d’inefficacité.
Si le Président de la République veut réellement rompre avec le passé, le chantier constitutionnel est bien plus intéressant et certainement moins émotionnellement destructeur que de toucher au drapeau national.