Wednesday, November 10, 2010

La lutte contre le terrorisme

Quand en Juin 2005, deux ans après le coup armée visant la destitution de Moawiya O Sid’ Ahmed Taya par un groupe d’officiers dirigé par l’ex commandant Saleh O Hannena, une garnison de l’armée Mauritanienne dans l’extrême nord-est est attaquée par un groupe se réclamant de la "mouvance jihadiste", la surprise est totale. Pour la première fois depuis la fin des hostilités avec le Front Polisario, la Mauritanie est victime d’une agression préméditée de la part d’un ennemi qu’elle n’a pas choisi. Le bilan est lourd, plusieurs dizaines de morts et de blessés. L’intégrité du territoire est sérieusement menacée. Ceux conscients de la fragilité d’un pays pauvre, trop longtemps mal gouverné, s’inquiètent et appellent à l’unité nationale face aux dangers qui se multiplient. Les condamnations fusent de toutes parts mais elles ne révèlent aucun consensus sur la meilleure manière de réagir à une agression que beaucoup préfèrent mettre sur le compte des agissements irréfléchis d’un régime en phase terminale. Ni les manifestations gigantesques organisées par les soutiens du pouvoir, ni les unités armées lancées à la poursuite des assaillants ne permettent au pays de reprendre l’initiative. Lemghayti mettra a nu les faiblesses d’un régime qui n’a que trop duré mais n’engendra aucune prise de conscience significative d’un défi sécuritaire qui s’avéra plus durable que n’ont espéré ceux qui n’ont vu dans cette attaque qu’un phénomène passager.

La déposition de Moawiya en Aout 2005 fait oublier pour un temps le danger de la "mouvance jihadiste". Le pays respire un air d’optimisme à la suite de l’engagement des autorités militaires de transition de préparer les conditions d’un retour a un régime constitutionnel marqué par une extension du champ des libertés et la possibilité d’alternance même au sommet de l’Etat. La parole est donnée à ceux qui en étaient exclus, les prisons se vident et le processus démocratique se consolide par la mise en place d’institutions constitutionnelles suivant des règles de transparence globalement satisfaisantes.

Il fallait attendre plus de deux ans et demi après l’attaque de Lemghayti pour que les "jihadistes" frappent de nouveau avec, cette fois, l’assassinat pour la première fois sur le sol national de touristes français suivi par la tuerie de trois soldats à Al Ghalawiya. Le pays est sous le choc. Son image de paisible terre d’hospitalité prend un sacrée coup. Il s’en remettra difficilement. Les services de sécurité, pris de cour, font face, pendant plusieurs semaines, à une mini guérilla urbaine avec des jeunes armés très mobiles disposant de complicités au sein de la police – ils se permettent le luxe de faire évader l’un des leurs le jour de la visite d’un chef d’Etat, non des moindres, dans notre pays. Les défaillances de l’appareil sécuritaire apparaissent au grand jour. Le pouvoir et la classe politique, trop occupés par les manœuvres politiciennes d’un processus de recomposition politique qui n’aboutira jamais, préfèrent ignorer le danger et refusent de sonner l’alarme. Une attitude lourde de conséquence qui fera apparaitre les institutions démocratiques comme inadéquates face à une confrontation de plus en plus évidente avec des groupes extrémistes décidés d’en découdre avec notre pays.

Il a fallu l’arrivée d’un militaire à la tête de l’Etat pour que les forces armées nationales passent à l’attaque et que s’affiche une volonté claire de sécuriser le territoire en confrontant par la force si nécessaire des groupes extrémistes qui commencent à semer la terreur dans la zone saharienne en général et dans notre pays en particulier. Certains pour des raisons politiques y ont vu la main d’une puissance étrangère et/ou la dérive dangereuse du tout sécuritaire qu’un pays comme le notre ne peut se permettre faute de moyens. C’est l’exercice légitime du droit de dissidence établie dans toutes les démocraties. Son respect doit être de rigueur. Cela dit, dans ces même démocraties les voix dissonantes se raréfient quant le pays est victime d’une agression étrangère et qu’il poursuit son droit reconnu d’auto-défense. Il est, en effet, difficile d’imaginer un pays continuer à ignorer les atteintes successives à sa souveraineté sans réagir et sans poursuivre une stratégie d’autodéfense mettant en œuvre tous les outils tactiques à sa disposition, incluant l’assistance étrangère et l’utilisation de la force si nécessaire.

Qu’on le veuille ou non, la Mauritanie est en guerre avec un ennemi armé qu’elle n’a pas choisi, qui se nourrit de ses faiblesses et pose un réel danger pour son existence. C’est un front nouveau, beaucoup plus sérieux, qui s’ajoute à d’autres plus insidieux comme la pauvreté et l’ignorance, la gabegie et le gâchis, les injustices et l’exclusion. Il est peu probable que notre pays sortira victorieux de cette nouvelle guerre – il en a tellement perdu qu’on se demande comment! – non pas qu’elle n’est pas juste, ni que les forces armées se trompent dans l’utilisation des instruments stratégiques et tactiques à leur disposition, mais plutôt pour les faiblesses structurelles des institutions concernées par cette guerre, resultat d'un processus long de gâchis des ressources physiques et de dégradation de l’étique et de la valeur humaine.

Les forces armées nationales
Créée aux lendemains de l’indépendance par une poignée d’officiers choisis par le premier Chef de l’Etat parmi la petite minorité d’instruits et formés en accéléré dans les académies militaires française, l’Armée Nationale bénéficiera de l’effort de guerre durant le conflit du Sahara occidental pour multiplier ses effectifs, disposer d’équipements lourds et renfoncer ses outils de formation et d’entrainement. Elle sortira de cette guerre vaincue mais considérablement renforcée tant en terme de moyens humains et matériels que de capacité logistiques et opérationnelles. Mais cette tendance à la hausse tant en quantité qu’en qualité sera paradoxalement renversée par la prise du pouvoir par les chefs militaires. Les différentes purges consécutives aux multiples tentatives de coup d’Etat ont vidé l’Armée d’une partie importante de son commandement. Cela au moment ou aucun processus efficace de renouvellement de l’encadrement militaire n’a été mis en place. Les motivations des nouvelles recrues sont plus mercantiles, l’armée est devenue le moyen le plus sur d’accéder au pouvoir et donc à la richesse. On y place ses fils et « cousins » au mépris des règles élémentaires de la méritocratie, le népotisme y atteint les sommets. Les valeurs militaires traditionnelles d’honneur, de bravoure, de sacrifice, et de leadership deviennent secondaires et disparaissent petit à petit. La troupe suit à son tour. Les petits salaires conjugués à la démotivation ne permettent plus de recruter que des soldats bons à rien. Seule la garde présidentielle pour des raisons liées à la sécurité personnelle du Chef de l’Etat jouit d’un certain professionnalisme.

Ce genre d’armée ne peut affronter dans la durée un ennemi dont la force réside dans la motivation et l’endurance de ses éléments. Même « égarés » du chemin traditionnellement tracé par les savants et érudits musulmans, les "jihadistes" comme leurs ancêtres Al Kawarij sont connus pour leur détermination et bravoures en combat. Ils ne seront vaincus que par une armée de professionnels motivés et rompus aux méthodes de combat. En somme, une armée qui reste à construire.

Nos savants et érudits
Il n’est pas sur que notre pays a gagné la bataille du narrative. Le nouveau front n’est pas seulement militaire, c’est aussi une compétition pour le contrôle des esprits de cette jeunesse musulmane que la conjugaison de multiples facteurs a rendu réceptives aux idées nihilistes de toute sortes et prône à l’utilisation de la violence même contre les siens suivant une logique apocalyptique et suicidaire.

Le rôle des savants et érudits dans cette bataille des idées est maintenant bien établie. Il ne s’agit pas moins que de rendre plus visible la place de l’Islam dans des sociétés traditionnelles tourmentées entre la vision d’un passé mythologiquement glorieux, un présent qui l’est moins et un futur très incertain. Cela au moment ou l’institution religieuse officielle est largement discréditée aux yeux d’une bonne partie de la jeunesse soit par son manque d’autonomie et/ou l’incompétence de ses éléments dans le domaine social et politique. Nos Ulémas ne se distinguent pas du reste de la société. Ils sont nombreux et mal organisés, amateurs et peu formés, et prêchent le plus souvent par la parole et non par l’action. Leur inclinaison à ménager les plus forts n’est pas de nature à rehausser leur statut aux yeux des révoltés et victimes des injustices.

Il faut plus que cela pour convaincre des jeunes suspicieux à l’égard des autorités présentes et soumis aux effets des medias internationaux qui les submergent d’information contradictoires et d’alternatives multiples et diversifiées.

L’élite politique et laïque
Ceux qui ont la responsabilité des affaires de la nation ont pour la plupart été formés à l’école de l’arrivisme mercantile sans aucun regard pour les processus comme si la réussite et le bonheur se trouvaient quelque part à des arrêts fixes qu’il faut rejoindre au plus vite. C’est la course effrénée pour les postes aux échelons élevés de l’encadrement politique, administratif et social avec les ravages qu’on connait tant aux niveaux individuels que collectifs. Tous ces anciens Présidents, Ministres, directeurs, conseillers, chefs de Partis, et hommes d’affaires, à l’origine élèves et citoyens modèles, devenus bons à rien sauf a vouloir coute que coute sauvegarder autant que possible des privilèges indus obtenus à un moment ou un autre de cette continuelle Hawassa instituée en système de répartition de richesses rares dont la gestion parcimonieuse devait être au sommet des priorités.

Cette Hawassa tout en étant un gâchis de ressources est aussi un stimulateur de la violence et se trouve pour beaucoup à l’origine de la dérive terroriste des « égarées » qui même s’il n’ont pas été eux même victimes peuvent facilement s’identifier à cette masse de jeunes en colère contre une société qui ne leur offre que peu tout permettant à une minorité d’acquérir, d’étaler et de gaspiller des richesses illégitimes en contradiction flagrante avec les valeurs et principes de l’Islam, « la religion de l’Etat et du peuple ».

La Hawassa continue parce que les règles d’une réelle méritocratie sont loin d’être mises en place. Le discours officiel parait certes plus conscient de l’insupportable condition de la fonction publique mais dans la réalité de tous les jours, les choses n’ont pas beaucoup changé. Chasser le naturel il revient au galop.

Le Président de la République a le mérite de l’audacité. Espérerons que c’est de l’audacité de l’espoir qu’il s’agit comme celle du Président américain dans son livre « Audacity of Hope » ou le volontarisme de l’idée l’emporte sur le cynisme de la réalité qui a permis a ce fils d’une mineure du Kansas et d’un étudiant africain de devenir le Président du plus puissant pays du monde et d’introduire dans son pays des changements fondamentaux pour le bénéfice des pauvres er des exclus. C’est la meilleure voie pour lutter contre la violence aveugle qui se nourrit de la détresse humaine.