Tuesday, July 10, 2012

Pour en finir avec le statu quo

Seyid Ould Ghaylani est un magistrat, non dénué de reproches, dont la nomination à la tête de l’institution judiciaire ne dérogeait pas à la règle d’usage qui voudrait que le Chef de l’Etat nomme aux emplois supérieurs de l’Etat qui il veut et quand il veut, le plus souvent en ignorant autant que possible les critères établis à cet effet. Son refus de démissionner est pourtant un acte non sans intérêt, car il met à nu la précarité des arrangements personnels (ou connivences d’intérêts) au sommet de l’Etat et l’insoutenable légèreté avec laquelle sont prises les grandes décisions publiques.

Cet incident illustre, une fois de plus, cette logique de gouvernement tant décriée, où la puissance publique n’est rien d’autre qu’un instrument à la disposition d’un seul homme, qui ne sait d’ailleurs pas trop quoi en faire, à part la mettre au service de ses courtisans et associés dans une entreprise de patrimonialisation de l’Etat. Il traduit en fait le « contrat social » que chacun de nos Chefs de l’Etat essayait de renforcer depuis que l’Etat postcolonial a perdu la légitimité qu’il tirait de son quasi-monopole de pourvoyeur de bien-être économique et social. Même s’il exclut le peuple et la majorité de l’élite éduquée, ce « contrat social » unilatéral n’est malheureusement pas en voie de disparaître, au regard de la dynamique actuelle qui continue d’ignorer l’urgence de changer les normes avant les hommes.

L’Etat postcolonial a construit sa légitimité sur la distribution d’opportunités économiques et de mobilité sociale qu’aucun autre acteur n’était capable d’offrir. C’est ainsi qu’il a pu s’imposer à tous malgré son inspiration coloniale et son caractère largement exogène. Ses premières années ont été d’ailleurs un modèle de réussite, due en grande partie à la valeur humaine de ses fondateurs, en particulier du premier président de la République, qui alliait une bonne éducation occidentale à un profond enracinement dans les valeurs sociales traditionnelles.

Sa légitimité a cependant commencé à s’effriter dès la fin de sa deuxième décennie, principalement à cause du coup exorbitant et inattendu de la guerre du Sahara, conjugué aux difficultés et déséquilibres structurels. Des officiers supérieurs fatigués d’une guerre qui ne semblait pas avoir d’issue prennent le pouvoir. Peu éduqués et inexpérimentés dans la gestion de l’Etat, ils échouent à s’accorder sur des principes de gouvernement susceptibles d’assurer la stabilité des institutions. Leurs divisions et ambitions personnelles engagent le pays dans une spirale de coups de palais qui ancrent la paranoïa au sommet de l’Etat et désarticulent le système mis en place depuis l’indépendance. En 1984, l’Etat s’engage dans des politiques hasardeuses de privatisation et de libéralisation, qui se traduisent par la paupérisation graduelle des populations et de la masse des fonctionnaires au nom de l’ajustement structurel. Ces politiques finissent par tuer dans l’œuf l’embryon d’administration que les pères fondateurs de la Mauritanie moderne ont voulu être le fer de lance du nouvel Etat.

Aussi, à défaut d’une bureaucratie respectueuse d’un minimum de règles et recrutée sur la base de critères de mérite, s’installent aux différents niveaux de l’Etat, des groupes de pressions encadrés par des chefs militaires, activistes politiques et affairistes qui, tout en menant une guerre de clans pour le contrôle des ressources publiques, devenues la principale source d’enrichissement, s’entraident mutuellement. Cette nouvelle élite, dont le seul dénominateur commun est l’envie de profiter de la rente qu’est devenu l’Etat, rejette tout changement qui mettrait en cause les privilèges indus, au détriment de l’intérêt général et préserve cet équilibre inique, au nom d’une stabilité de façade.

Tout au long des dernières décennies, cette élite, composée de militaires corrompus, d’affairistes, de fonctionnaires et de politiciens vénaux, a montré des capacités incroyables de résistance aux reformes. Pour l’amadouer, le Président Sidi Ould Cheikh Abdallah avait essayé les bonnes manières et l’élargissement de la rente que permettait la bienveillance internationale pour soutenir la légitimité démocratique. A sa manière (forte), Mohamed Ould Abdel Aziz a tenté, lui aussi, (au début de son mandat en 2009), cette fois-ci, de lutter contre la gabegie à la faveur d’une campagne électorale. Toutefois, il s’est bien vite rétracté, pour s’entourer des segments les plus emblématiques de cette élite corrompue qu’il avait promis d’éradiquer.

Pourtant, il n’est pas exclu que Ould Abdel Aziz soit la première victime d’une élite qui affectionne les coups de palais et excelle dans l’art de dénigrer un chef d’Etat (déchu ou affaibli) après l’avoir couvert de louanges. Non pas que l’opposition soit capable d’imposer son départ, mais en raison du climat délétère que créent ses descentes répétées dans la rue, qui pourrait, à nouveau, susciter des vocations putschistes…

L’opposition aussi a été historiquement incapable de créer un contre-modèle à cette culture de la gabegie. Pire, elle a fini par n’être qu’un tremplin pour tous ceux qui veulent reculer pour mieux investir les sphères du pouvoir. Au fil du temps, la transhumance et la ressemblance entre le personnel politique du pouvoir et de l’opposition est tellement grande que l’observateur a bien du mal à les distinguer. L’élite attachée au statu quo tire les ficelles des deux cotés du spectre politique.

Cette élite entretient l’instabilité au sommet de l’Etat par l’entremise de l’opposition, largement infiltrée de mecontents à la recherche d’un moyen de pression sur le pouvoir. Dans ce contexte, le problème d’Ould Abdel Aziz est qu’il ne peut rien offrir a ce surplus de mecontents car le système hérité de Ma’awiya ne peut plus fonctionner, simplement faute d’argent. Et ce n'est pas l’alliance avec les puissances occidentales dans la guerre contre le terrorisme qui changera cette réalité. Cette entente calculée peut apporter des ressources pour équiper l’armée et former des soldats, mais elle ne peut fournir l’argent facile auquel l’élite corrompue s’est habituée et qui permet, entre autres, d’acheter les voix (et le silence) des plus pauvres. De plus, pour continuer à bénéficier des maigre financements concessionnels encore disponibles, le président est obligé de serrer la ceinture (non pas des courtisans), mais de la majorité de ses soutiens, dans l’administration, les milieux affairistes et même l’armée, qui en constitue, pourtant, l’ultime rempart face à la colère populaire.

Et ce ne sont pas des élections même transparentes qui changeront cette donne. L’expérience de notre voisin Malien a montré qu’une démocratie respectueuse des formes n’est pas un rempart contre la frustration des exclus. A fortiori une démocratie de façade, dont le conseil constitutionnel et le chef de file de l’opposition "democratique" n’ont aucune gène à approuver la destitution d’un président élu démocratiquement, de l'avis général.

Du coup, le président a intérêt à trouver une autre manière de gérer la multiplication des mécontentements populaires, annonciateurs de tempêtes à venir, avant d’être prisonnier de la logique des dictateurs arabes qui s’accrochent au pouvoir jusqu’au bout parce qu’ils ne peuvent plus envisager leur avenir et celui des leurs hors du pouvoir. Il en a encore la possibilité. Son problème est qu’il ne peut concevoir et mettre en œuvre cette autre manière de gérer tout seul avec les béni-oui-oui habituels. Il doit s’ouvrir à d’autres et accepter la contradiction même au sein de son cabinet et de son gouvernement et, surtout, négocier avec ses opposants, non pas qu’ils soient des parangons de vertu, mais parce qu’ils ont le mérite d’exister. La Mauritanie ne peut en effet importer une élite de rechange, mais composer avec celles dont elle dispose.

Même s’ils ont raison de manifester pour le changement, les opposants, pour la plupart, ne crient au scandale que pour avoir une place autour de la table. Ils savent qu’il n’y aura pas de révolution, qui ne les intéresse d’ailleurs qu’accessoirement. Pouvoir et opposition doivent négocier, non pas pour gouverner ensemble, comme le préconisent les initiatives qui se multiplient en ces temps de crise et de désarroi, mais pour s’accorder sur une autre manière de gérer ce pays et définir un nouveau « contrat social », centré sur la lutte contre la gabegie – non pas à la manière ‘folklorique’ et populiste véhiculée par le discours officiel – mais à travers une stratégie bien réfléchie et mise en œuvre de manière consensuelle, mais contraignante, y compris et en premier pour chef, le Chef de l’Etat lui-même.

A cet effet, je voudrais, ici, rappeler dix points devant constituer, à mon avis, la priorité pour rompre avec le présent « contrat social » qui fait la part belle à la classe oisive des politiciens corrompus au détriment des valeurs du travail, de l’effort et de la patience, que nous enseignent nos valeurs islamiques. Le pays ne retrouvera l’équilibre que si le gouvernement commence par assécher les voies de l’enrichissement illicite et à pointer du doigt et marginaliser les fabricants de fausses valeurs quels qu’ils soient. Ainsi pourra-t-on espérer laisser un pays viable aux générations futures.

1. la dissolution immédiate du parlement et la suspension de la constitution jusqu'à la mise en place d’une assemblée constituante élue, au terme d’un débat national, auquel participeront toutes les forces politiques du pays. Pendant ce temps, le président gouverne par décret et cela pour une période qui ne peut excéder le reste de son mandat, à l’issue duquel il ne pourra se représenter.

2. La nomination à la tête de la cour suprême d’une personnalité intègre à la compétence avérée, qui ne pourra être demis de ses fonctions et aura la charge de reformer en profondeur l’appareil judicaire.

3. La nomination à la cour des comptes d’un président qui jouit de l’approbation générale avec pour mandat de faire un audit général de l’Etat et d’établir une liste complète de tous ceux qui ont été mêlés de prés ou de loin au vol des biens publics.

4. La nomination d’un économiste de haut niveau à la banque centrale pour assurer la crédibilité et l’indépendance complète de cette institution contre l’influence ‘corruptive’ du gouvernement. La mission de la banque centrale se concentrera sur la stabilité des prix et la maîtrise des agrégats macro-économiques. L’institution cessera d’être une machine à renflouer les caisses du régime et des particuliers, au gré des humeurs et des intérêts du gouvernement.

5. La désignation d’une commission nationale pour l’audit des fichiers du personnel de l’Etat et le licenciement immédiat de toute personne ayant falsifié un diplôme et/ou été recrutée suivant les procédures non réglementaires. Cette commission sera, en outre, chargée de scruter et valider toute nomination aux emplois supérieurs de l’Etat.

6. L’interdiction à l’Etat de disposer d’organes d’information pour éviter que les ressources publiques soient utilisées à des fins de propagande. L’Etat cessera immédiatement la formation et le recrutement d’écrivains journalistes et cédera la propriété des medias publics existants aux personnels et aux organisations professionnelles de la presse écrites et audio-visuels avec interdiction formelle de subventions publiques aux medias.

7. L’audit du cadastre et la publication des noms de ceux qui ont bénéficié des dons de terrains depuis la création de la capitale, en précisant le nombre de lots attribués à chacun.

8. La publication des plus gros débiteurs des banques publiques tombés en faillite ou privatisées, ainsi que la liste des principaux beneficiares de marchés publics.

9. L’interdiction à l’Etat d’interférer dans les affaires religieuses comme la nomination des Imams et la gestion des mosquées. Celles-ci doivent être du ressort d’institutions non étatiques comme al-awqaf and dar al-Ifta. L’intervention de l’Etat dans la sphère religieuse comporte des risques de traitements inégaux des différents groupes et mouvances qui forment le spectre de la diversité religieuse dans notre pays; Ce qui pourrait consituer un préjudice a la cohésion nationale. Bien entendu, cela n’enlève au caractère islamique de l’Etat Mauritanien qui doit avant tout se refléter dans la conception et l’exécution des lois en même temps que le respect par ceux qui nous gouvernent des principes et valeurs islamiques qui paraissent aux antipodes de la manière dont sont gérées les affaires publiques à l’heure actuelle.

10. La publication de la liste des gros contribuables, un million d’ouguiya et plus, pour mesurer la contribution des hommes d’affaires à l’effort de solidarité nationale.