Saturday, September 24, 2011

Contribution au dialogue national

Depuis que « le père de la nation » Me Mokhtar O Daddah a mis fin au régime parlementaire et au multipartisme hérités de l’administration coloniale française, le processus démocratique Mauritanien a évolué en dent de scie alternant des périodes courtes d’ouvertures vers la démocratie et le pluralisme avec des cycles longs de dictature et de rétrécissement des espaces de libertés. L’élite politique n’a jamais réussi à s’entendre sur un système juste et durable de partage du pouvoir et d’alternance aux postes électifs qui garantissent la stabilité des institutions et la résolution pacifique des crises. Pire, la gabegie financière et l’absence de critères professionnels pour la nomination aux postes non électifs a largement étendu le champ de l’arbitraire et généré une instabilité chronique qui porte préjudice aux chances de survie de notre pays dans un monde traversé par des courants transfrontaliers de déstabilisation multiples.

Le dialogue en cours entre le président de la république et sa majorité d’une part et certains partis de l’opposition démocratique d’autre part, même s’il est opportun dans les principes, ne corrigera pas à notre avis les dysfonctionnements structurels de la gouvernance nationale. Seule une assemblée constituante qui tire sa légitime d’une représentation populaire réelle et sa force de la mobilisation consciente des populations peut constituer une rupture claire avec le passé. En outre, le boycott de ce dialogue par les principaux partis politiques d’opposition conjugué à la faiblesse des capacités d’organisation du gouvernement limitent sérieusement sa portée et entachent significativement sa crédibilité. Il reste cependant que des questions de fonds ont été soulevées par les participants ; ce qui augure peut être d’une envie d’introduire des changements dans le dispositif constitutionnel dont la lourdeur et le cout exorbitant sautent aux yeux. Si cela s’avère être le cas, ce dialogue n’aura pas été vain.

Nous allons essayer d’analyser certaines de ces idées et faire des propositions pour enrichir le débat. Notre but n’est pas de jeter l’anathème sur des personnes particulières mais pour attirer l’attention sur l’importance du bon choix non seulement des structures mais aussi des hommes qui les font fonctionner. La Mauritanie continuera à souffrir de tous ses actuels maux tant que les plus intelligents de ses fils sont corrompus ou reléguées au second plan, la médiocrité est la règle, et tant que le principe de la sanction et de la récompense n’est pas appliqué.


De la constitution

Des participants de la majorité comme de l’opposition ont fait des propositions qui requièrent des changements constitutionnels comme l’extension des pouvoirs du premier ministre, la suppression du sénat et l’exigence de l’aval du parlement pour les nominations aux hautes fonctions de l’Etat. Ces débats sur l’opportunité et l’utilité des institutions qui exercent les différents pouvoirs constitutionnels ont suscitée l’intérêt des observateurs pour un dialogue que beaucoup considèrent comme un non-évènement.

C’est l’occasion de signaler que la Mauritanie n’a pas de constitution à proprement parler. Celle à qui les participants réfèrent est un document préparé dans les bureaux feutrés de la présidence par des juristes acquis à leur maitre, l’ancien chef de l’Etat Ould Taya qui voulait se donner une façade de constitutionalité pour plaire à ses bailleurs de fonds. Ce document n’a fait l’objet d’aucun débat ; ses rédacteurs et les membres du gouvernement de l’époque se chargeaient de l’expliquer aux masses. Les principaux leaders politiques d’aujourd’hui avaient rejeté son processus d’élaboration et son plébiscite n’était que le produit de cette mécanique de la fraude dans laquelle excellent les acteurs des cirques électoraux de l’époque.

La constitution de 1991 a été acceptée par défaut et sa mise en œuvre n’a pas rehaussé son statut. Son promulgateur était le premier à ne pas la prendre au sérieux en lui ajoutant un article qui ne faisait pas parti de la mouture initiale objet du vote. Il l’a ensuite vidée de tout contenu par les atteintes répétées aux droits fondamentaux des citoyens, la subordination de tous les pouvoirs constitutionnels au Chef de l’Etat et la fraude massive durant les élections. Personne ne l’a pleurée quand elle a été suspendue par le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie en 2005.

Les amendements qui lui ont été introduits en 2006 ont suivi le même procédé avec la même acceptation par défaut justifiée cette fois par la promesse du retrait des chefs militaires de la politique et l’organisation d’élections libres et transparentes.

La dernière promesse a été tenue plaçant la Mauritanie dans le peloton des pays démocratiques de la région en général et des arabes en particulier. Le changement était au rendez-vous. Des hommes de l’arrière prennent le devant à l’issu d’un processus, certes imparfait comme toute entreprise humaine, mais pacifique et largement crédité de transparence et d’équité. Zein O Zeidane, technocrate sans expérience politique est propulsé à l’avant comme Premier ministre par le vote jeune et l’argent de puissants hommes d’affaires a la recherche d’une position perdue à la suite de la chute d’Ould Taya. Messeoud O Boulkheir, défenseur historique de la cause jusque-là perdante de Lehratin, est parachuté a la tête de l’Assemblée Nationale pour son soutien critique à Sidi O Cheikh Abdellahi, candidat indépendant, devenu le premier président démocratiquement élu de la Mauritanie. Ahmed O Daddah qui a perdu le soutien crucial de son compagnon de longue date dans l’opposition à Ould Taya obtient un score de plus de 47% des suffrages exprimées au deuxième tour et devient le chef de file de l’opposition, un poste honorifique taillé sur mesure comme si les autorités militaires de la transition voulaient que pour cette première expérience démocratique, il n’y ait pas de total vaincu.

Malheureusement les chefs militaires n’ont pas tenu leur première promesse de se retirer de la politique. Ils ont continué à tirer les ficelles du jeu politique pour renforcer leurs positions dans la hiérarchie militaire et profiter des privilèges de la proximité du pouvoir. Cette immixtion a culminé avec le coup d’Etat de 2008 qui a effacé les acquis démocratiques et leurs retombées économiques prometteuses au grand étonnement des partenaires extérieurs de la Mauritanie, les seuls à avoir exprimé avec force l’exigence d’un retour à la normalité constitutionnelle, même de façade.

La décision du conseil constitutionnel en 2009 de constater la vacance de poste alors que le président de la république était vivant et en pleine possession de ses capacités physiques et morale et ensuite l’accord de Dakar ont signé la fin de la promesse d’un ordre basé sur la volonté populaire telle qu’exprimée par les voix des électeurs et du règlement des crises par référence a une loi fondamentale. C’est l’acceptation tacite de la suprématie de la force sur la loi contraire à toute idée de constitution.

Cette absence d’un recours effectif a un texte juridique fondateur fait que l’évolution des institutions dépend uniquement du rapport de force entre les différents acteurs politiques. Dans ce contexte, le président de la république qui a le monopole de la force détient seul les clés de l’évolution du système actuel. Il dispose de toute la latitude pour en changer le mode de fonctionnement et l’adapter à ses désirs et/ou des plus éclairés de ses soutiens.

Le président de la république ferait œuvre de salut public s’il décidait d’un toilettage des institutions constitutionnelles comme lui suggère les participants au dialogue pour au moins en réduire le cout a défaut de leur octroyer un véritable pouvoir qui a notre avis reste tributaire de facteurs non réunis a l’heure actuelle. Mais avant de parler de ces toilettage, il n’est pas superflu de parler d’un pouvoir non prévu dans le texte qui tient lieu de constitution, celui de la grande muette.

L’Armée dont les chefs se sont autoproclamés « dépositaires en dernier recours de la légitimité nationale » est la source du monopole de la force détenu par le président de la république. Son isolement de la sphère politique est un objectif en soi nécessaire non seulement pour la stabilité des institutions de l’Etat mais aussi pour que ses chefs se consacrent exclusivement aux fonctions de sécurité et de défense du territoire en cette période de recrudescence du banditisme transfrontalier.

Du rôle de l’Armée NationaleLes partis d’opposition participant au dialogue ont demandé à ce que les responsables supérieurs de la sécurité nationale ne soient pas nommés parmi les officiers de l’Armée pour renforcer le contrôle des civils sur l’institution militaire et empêcher les chefs de cette dernière de s’immiscer dans la politique. Une proposition audacieuse dans un pays ou les officiers militaires en activités ont pris l’habitude de postuler et d’occuper des postes civiles comme ambassadeurs, attaché militaires et chefs d’entreprises en contrepartie de leur allégeance au chef de l’Etat. Attirés par l’appât de l’enrichissement rapide que procurent ces emplois civils, les hauts gradés ont délaissé la supervision opérationnelle souvent non lucrative d’unités militaires sous-équipées et démoralisées. La question semble cependant plus complexe et la demande irréaliste compte tenu du peu de crédibilité de l’élite civile dans la gestion des institutions de l’Etat.

L’institution militaire a trop souffert de la dictature exercée en son nom par ceux de ses chefs qui arrivent à la magistrature suprême. Les différentes purges consécutives aux multiples tentatives de coup d’état ont vidé l’Armée d’une partie importante de son commandement au moment où aucun processus efficace de renouvellement de l’encadrement militaire n’a été mis en place. Le brevet de capitaine qui constituait une barrière pour ceux des officiers qui n’avaient pas des facultés intellectuelles supérieures n’est plus ce qu’il était. 80% de sa note découle de l’appréciation des supérieurs hiérarchiques et non du niveau académique comme cela était le cas à un moment donné. Une trouvaille qui a permis aux chefs militaires de contourner l’obstacle intellectuel pour coopter fils et « cousins » au mépris des règles élémentaires de la méritocratie.

Cette situation doit être corrigée non seulement par le rétablissement d’un processus rigoureux de sélection et de gestion de la carrière militaires mais aussi par la mise en retraite anticipée des officiers dont le recrutement s’est fait sur des bases népotistes et laxistes. Il s’agit-là d’une étape nécessaire a toute entreprise sérieuse d’isoler les institutions de sécurité des caprices de la politique. Une Armée professionnelle qui attire et promet sur les seules bases de mérite est le meilleur rempart contre les coups d’état et la déstabilisation des institutions de l’Etat.

En l’absence d’une telle méritocratie, les plus futés des chefs militaires réussiront toujours à trouver le prétexte pour tenter de raccourcir le parcours au sommet quitte a déstabiliser au passage les institutions de la république. Une perspective qui tout en donnant des cauchemars au président de la république justifie aussi cette psychose sécuritaire a la base de l’hypertrophie des systèmes de sécurité et l’influence qu’ils exercent sur le reste des institutions publiques.

Dans ce contexte, il parait quelque peu naïf de demander la réduction du pouvoir du chef suprême des armées sans créer au préalable les conditions qui permettent à la hiérarchie militaire de se constituer sur les bases du mérite et du code d’honneur qui exclue l’usage de la force contre le citoyen et ses représentants.

Des attributions du président de la république
Des voix de l’opposition mais aussi paradoxalement de la majorité ont demandé le renforcement des attributions du Premier ministre au détriment de celles du président de la république jugées excessives. Ces demandes paraissent non seulement irréalistes mais aussi déplacées dans le sens que rien ne garantit qu’un partage plus équilibré des responsabilités entre les deux pôles de l’exécutif constitue une avancée sur le chemin de l’efficacité et de l’efficience.

En plus, le Premier ministre ne pèse pas lourd devant le chef suprême des forces armées même dans le cas où il dispose d’une majorité parlementaire qui le soutient dans un pays où la primauté du droit reste encore à établir. Une telle configuration qui ne tient que dans des pays à forte tradition d’état de droit comme au Royaume Uni a été source d’instabilité et de crise constitutionnelle permanente dans des pays comme le Niger et la Guinée qui l’ont adoptée.

Il aurait été plus réaliste et certainement plus rationnel de demander la suppression du Premier ministère, une structure qui a couté plus de quinze milliards d’UM sur deux décennies sans qu’elle convainc de son utilité. Si le président de la république désire déléguer des responsabilités au gouvernement qu’il le fasse directement aux Ministres, cela parait plus rational pour donner de la consistance aux chefs de départements sectoriels. Pour la coordination du travail gouvernemental, the président de la république dispose de deux structures qui sont amplement suffisantes : le secrétariat général du gouvernement et le secrétariat général de la présidence.

De la suppression du sénat et le renforcement des pouvoirs de l’assemblée nationaleDes participants ont demandé la suppression du sénat et l’exigence de l’aval du parlement pour la nomination aux hautes fonctions exécutives. Il s’agit-là de propositions très intéressantes pour la rationalisation des structures et l’équilibre des pouvoirs entre l’Exécutif et le législatif. L’Etat dépense un milliard d’UM par an pour entretenir un sénat dont l’utilité n’est pas évidente. Le mode d’élection de ce dernier est en outre injuste et favorise la corruption des élus locaux. Le redéploiement d’une partie de cette importante allocation budgétaire sur le budget de l’assemblée nationale permettra de renforcer les capacités de celle-ci en matière d’investigation et de contrôle de l’exécutif. Les députés doivent en effet bénéficier d’assistants techniques, experts et professionnels de tous genres, qui leur permettent de se faire une idée claire des dossiers qui leur sont soumis pour approbation et avis.

D’autre part, l’examen par les députés des nominations aux hautes fonctions de l’Etat aura au moins l’avantage de dissuader le président de la république de nommer des personnes de moralité douteuse et/ou sans compétences et qualifications comme c’est le cas aujourd’hui. Cela permettra aussi aux députés de renforcer leur contrôle sur l’administration et le fonctionnement des services publics.

De la suppression du Conseil Constitutionnel, du Conseil Islamique et de la Haute Cour de Justice
Aucun participant à notre connaissance n’a parlé de l’inutilité du Conseil Constitutionnel, du Conseil Islamique et la Haute Cour de Justice. Pourtant depuis qu’elle existe cette dernière n’a jugé personne et l’avis du conseil constitutionnel n’est demandé que pour revêtir un caractère juridique a des actions de l’exécutif qui ne le sont généralement pas.

Pire, l’homme que le président de la république a placé à sa tête n’a ni l’habilité intellectuelle ni la rectitude morale pour dire le droit. Ancien greffier ayant eu du mal à obtenir un diplôme de maitrise de droit de l’université de Nouakchott avant de s’investir corps et âme au service de Ould Taya, tristement célèbre depuis son passage au Ministère de l’Education Nationale, Sghair O M’Barek illustre parfaitement la médiocrité érigée en système de gouvernement. Personne ne sait exactement ce que fait le conseil islamique qui coute près de 70 millions par an à l’Etat.

Nous ne comprenons pas pourquoi aucun participant n’a proposé la suppression du conseil islamique et transfert des attributions du conseil constitutionnel et la haute cour de justice a la cour suprême et en finir avec cette dualité qui caractérise les structures en charge des pouvoirs constitutionnels en Mauritanie.

Une telle démarche permettra d’économiser des ressources importantes qui peuvent être redéployées pour améliorer le fonctionnement de la justice. Déjà relativement bien payés, les juges souffrent d’un sentiment d’infériorité par rapport à l’exécutif qui trouve son origine dans le manque d’indépendance et le niveau de formation bas de la majorité d’entre eux.

Dans ce cas comme dans d’autres, la Mauritanie ne peut faire l’économie d’une amélioration significative des méthodes de recrutements et de gestion des hommes et femmes en charge des fonctions publiques.Le dialogue aura un sens s’il permet une avancée dans ce domaine. Autrement, la Mauritanie continuera à souffrir et le responsable en chef sera le président de la république au moment de rendre des comptes ici-bas ou au-delà. « Ô hommes! Craignez votre Seigneur et redoutez un jour où le père ne répondra en quoi que ce soit pour son enfant, ni l’enfant pour son père. La promesse d’Allah est vérité. Que la vie présente ne vous trompe donc pas, et que le Trompeur (Satan) ne vous induise pas en erreur sur Allah! » Luqman, verset 32.