Friday, November 9, 2012

La démocratie américaine


Mardi 6 Novembre 2012, j’ai voté pour la première fois dans une élection dont les résultats ne risquent pas d’être rejetés par le malheureux candidat. Pour le Mauritanien que je suis qui n’a jamais vécu une telle expérience dans sa vie même s’il approche la cinquantaine, l’événement était historique. Je me réveille donc un peu plutôt que d’habitude et avant de vaquer à la routine quotidienne du métro-boulot, je me munis de ma carte d’électeur que j’ai reçu par voie postale quelques semaines auparavant et me dirige vers le Lycée du quartier pour voter. Comme c’est la première fois que je vote dans des élections Américaines, j’étais un peu anxieux de peur de faire l’une de ces petites erreurs qui empêchent le vote de compter. L’élection étant très serrée en Virginie, je tenais à ce que ce premier vote compte. J’ai soudainement pensé au dépouillage des bulletins durant l’élection présidentielle de 2009 à Washington ou je représentai le candidat Mes’ud Wul Bulkhayr et le nombre relativement élevé des votes rejetés pour non respect des procédures, surtout parmi les votes pour Ahmed Wul Daddah, qui sont sensés prendre l’élection très au sérieux. J’en ai déduit qu’il faut garder son calme et arriver au lieu en pleine capacité de mes facultés mentales.   

Quand j’arrive au Lycée, je suis accueilli à la porte par deux personnes qui distribuaient des tracts de campagne comme quoi aux Etats-Unis la campagne ne s’arrête que par la proclamation des résultats. L’une des deux personnes me propose un papier jaune, préparé par la campagne du parti Démocrate, qui explique la procédure de vote et fournit les noms de ses candidats. Je le prends car j’ai l’intention de voter pour leurs candidats. Aux Etats-Unis d’Amérique, toutes les élections qu’elles soient fédérale, locale, ou au niveau intermédiaire des Etats se déroulent à la même place et le meme jour, le Mardi suivant le premier Lundi du mois de Novembre, sur tout le territoire des Etats Unis. J’avais donc à voter, non seulement pour le Président, mais aussi pour un sénateur et un député et répondre par oui ou non à quatre questions référendaires, trois d’entre elles concernent le niveau local, Fairfax County, et une relative à un amendement de la constitution de Virginie, l’Etat ou j’ai élu domicile. Comme j’ai l’intention de voter pour les candidats Démocrates, le papier me donne leurs noms ainsi que l’avis du parti sur les questions referendaires.

C’est l’occasion de signaler l’emprise du bipartisme sur le système politique Américain. Il est rare en effet qu’un indépendant fraye son chemin dans un pays ou les citoyens n’ont pas que la politique à faire et ou pour se faire connaitre il faut beaucoup d’argent et une puissante machine électorale pour gagner des élections. Comme moi, beaucoup d’américains voteront pour le candidat d’un parti sans nécessairement lire son programme ni s’enquérir de ce qu’il pense à moins qu’il ne fasse une bêtise médiatique qui le rend tristement célèbre. Beaucoup de candidats l’ont appris à leur dépend cette année, surtout dans le camp Républicain sur les questions d’avortement et de droit des femmes.

Quand je rentre dans le bâtiment, j’apprécie la chaleur de l’endroit après le vent glacial de la rue. Mais la queue était déjà longue. Des Lycées en profitent pour vendre du café chaux pour un dollar le verre. J’en prends un pour me réchauffer davantage et commence à lire attentivement le papier jaune. Je découvre les noms et l’emplacement sur le bulletin de vote de mes candidats de préférence. L’attente dure plus de trois quarts d’heure beaucoup plus qu’il ne faut pour lire le dernier numéro de Time magazine que j’ai apporté avec moi et dont une grande partie est consacrée à l’élection. Enfin, j’arrive à la porte de la salle ou se déroulent les opérations électorales.  Je reconnais le gymnasium du Lycée que j’ai visité il y a un an, accompagnant ma fille Fatima pour la rencontre biannuelle entre professeurs et parents d’élèves.

Avant de rentrer dans la salle, une dame vint nous montrer un diagramme sur le panneau d’affichage à ma droite expliquant le procédé du vote et nous rappeler de se munir d’une carte d’identification. Comme j’avais ma carte d’électeur à la main, je sortis ma carte d’identité mais la dame s’empressa de me dire que la carte d’électeur suffit, même si ma photo n’y figure pas. L’instinct de Pavlov aidant, j’ai instantanément pensé aux possibilités de fraudes que le parti républicain mentionne souvent pour justifier ses demandes de contrôles plus renforcés sur les opérations de vote. Mais les enquêtes indépendantes n’ont jamais établie un niveau significatif de fraude aux élections américaines qui justifierait un changement de procédures qui, il faut bien le reconnaitre, sont simples et dépourvus de ces tas de contrôles bien connus chez nous en Mauritanie.  C’est la rente de la confiance, me dis-je.

Je rentre dans la salle avec quelques personnes. Cinq agents de la commission électorale indépendante qui supervise les élections nous font face. Ils utilisent des ordinateurs pour vérifier l’identification des électeurs. Des que mon tour arrive, l’une d’elle me fais signe d’avancer vers elle. Je lui tends ma carte d’électeur qu’elle vérifie en tapant mon nom sur le clavier. Elle me demande de lui dire mon nom et adresse, ce que je fais naturellement. C’est tout ce qu’il faut pour vérifier mon identité. Elle me demande ensuite si je veux voter manuellement ou de manière électronique. Je choisis la première méthode qui dans mon esprit disparaitra très prochainement à mesure que les machines intelligentes étendent leur domaine sur les activités humaines. Elle me montre une table à deux ou trois mètres à sa gauche sur laquelle se trouvent des chemises jaunes contenant le bulletin de vote. J’en prends une et me dirige vers le coté opposé du gymnasium, vers l’isoloir. En fait, il ne s’agit pas d’un isoloir à proprement parler mais de quelques tables de bureau agencées avec des chaises sur les lesquelles les électeurs s’assoient pour cocher les cases qu’il faut sur le bulletin de vote. La discrétion du vote est assurée par de petits cartons cubiques placés sur les tables.  Je prends l’un des stylos déposés sur la table et coche les cases : Obama pour le Président, Kaine pour le Sénateur et Moran pour le député et pour les questions referendaires, je vote pour la plateforme démocrate à l’aide du papier jaune que je continue d’avoir a la main.

Je laisse mon bulletin glisser dans la boite qui sert à cet effet et la dame qui s’en occupe me félicite pour avoir accompli mon devoir civique tout en me remettant un autocollant sur lequel est inscrit « j’ai votée » sur un fond de drapeau Américain et en me montrant le chemin de sortie. Je mets l’autocollant sur mon pullover sur le champ. A mon arrivée sur mon lieu de travail, le garde posté à l’entrée — une routine sécuritaire en Amérique depuis Septembre 2001 — me félicite en voyant l’autocollant, preuve que ce devoir civique est pris au sérieux dans ce pays, malgré le niveau bas de politisation de ses citoyens et le discrédit de l’élite politique aux yeux de beaucoup.

Le soir, je me retrouve avec Sidna, un Mauritano-Américain de mon espèce, qui habite dans le même coin pour suivre les résultats. Des les premières heures, le mood est favorable au Président Obama et au parti Démocrate, en général, pour des raisons essentiellement de changements démographiques. Les nouveaux Américains comme Sidna et moi, de plus en plus nombreux en proportion de la population totale, votent en général pour les Démocrates, perçus comme plus ouverts et plus sensibles à leurs préoccupations.  Vers 23h 30, la plupart des résultats sont connus. Le Président Obama est élu pour un second mandat, le parti Démocrate renforce sa majorité au Senat mais les Républicains gardent le contrôle de la chambre des représentants.  Mitt Romney, le candidat Républicain malheureux, félicite le Président réélu, comme c’est la tradition dans ce pays. Après une campagne électorale ou tous les coups sont permis, la nation doit retrouver son unité, c’est la règle du jeu démocratique.

Le Président Obama sera aux command pendent les quatre prochaines, sauf en cas d’empêchement par maladie, décès, ou décision du parlement pour haute trahison ou entrave a la justice. Les généraux de la plus puissante armée du monde seront sous ses ordres et aucun d’eux ne pensera faire un coup d’Etat — cela n’est jamais arrivée durant les plus de deux siècle de vie de la plus vielle constitution écrite du monde. Il ne pourra cependant gouverner sans le parlement qui le contrôle de prés et peut, en particulier, lui refuser l’argent et les nominations nécessaires au fonctionnement de son administration.

 La constitution des Etats-Unis d’Amérique a institué une séparation nette des pouvoirs exécutif, législatif et judicaire et un système unique de contrôle mutuel, check and balance, qui permet à chacun des trois pouvoirs d’exercer un contrôle sur les autres. C’est ainsi que les projets lois (bills) dont l’initiative et le vote sont du ressort du parlement ne peuvent être promulgués sans l’accord du Président qui doit les signer pour qu’ils deviennent lois exécutoires. Mais le Parlement peut paralyser le Président en lui refusant les crédits de fonctionnement, y compris les traitements et salaires de fonctionnaires, et les nominations aux emplois supérieurs de l’Etat. Les juges quant à a eux sont inamovibles et ne répondent qu’a leur conscience et leur compréhension de la constitution. Ils peuvent ignorer une loi pour inconstitutionnalité and traite l’administration comme le commun des mortels. Les juges sont nommes par le Président mais leur nomination doit être avalisées par le Senat, comme d’ailleurs pour tous les emplois supérieurs de l’administration.

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