Tuesday, October 6, 2009

Message aux protagonistes de la crise constitutionnelle

Il y deux ans on croyait sortir de l’auberge. Après une bataille électorale rude, mais pacifique et, en grande partie, respectueuse des usages établis dans les grandes démocraties, la Mauritanie s’est dotée, pour la première fois de son histoire, d’un Président, d’un Parlement et de maires élus en toute transparence selon les règles et procédures communément admises du suffrage universel. Le processus démocratique mis en œuvre par les autorités de transition issues du coup d’Etat qui a mis fin au long règne du Colonel Muawiya Oud Sid’Ahmed Taya a atteint ses objectifs. Tel était, en tout cas, le constat de la classe politique dans son ensemble et des observateurs internationaux. Pour la première fois de son histoire, la Mauritanie dispose d’institutions constitutionnelles représentatives qui reflètent sa diversité politique, l’aspiration des différentes catégories sociales et la demande de changement. Une singularité qui lui vaut l’admiration de beaucoup d’arabes et de musulmans dans son environnement arabo-islamique et le respect de la communauté internationale dans son ensemble, notamment les grands pays qui ont dépêché des hautes personnalités à la cérémonie d’investiture du Président de la République.

Le Président de la République a été élu par une majorité confortable au deuxième tour due, pour l’essentiel, au soutien de l’APP, le parti de Massoud Oud Boukhelif, l’une des plus importantes formations politiques de l’opposition au régime de Ould Taya. Le candidat malheureux a « pris acte des résultats » et accepté d’être le chef de file de l’opposition, une autre singularité créée sur mesure, par une ordonnance du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD), pour consoler « l’opposant historique » tout en espérant constituer un mécanisme de concertation au sommet entre le pouvoir et son opposition. L’ensemble des forces politiques ont déclaré leur volonté de s’inscrire dans le nouvel ordre. Le spectre d’un Pouvoir sans Opposition pointait à l’horizon. Cette perspective effrayait autant les candidats aux postes gouvernementaux parmi les soutiens du Président de la République que ceux qui avait peu confiance dans le nouvel ordre en construction qui faisait à leurs yeux la part trop belle aux figures et méthodes emblématiques de la période décriée.

Zein Oud Zeidane, technocrate converti à la politique devient Premier ministre après avoir occupé la troisième place au premier tour de l’élection présidentielle. Le Président de la République lui délègue des pouvoirs importants. Il nomme un Gouvernement non politique qui tactiquement évite les figures emblématiques de la période TAYA et se qualifie de technocratique sans pour autant compter des membres dont l’expertise et la compétence sont indiscutables. Masoud O. Belkheir devient Président de l’Assemblée Nationale et fait entrer certains de ses lieutenants au Gouvernement. Les institutions se mettent en place et lentement commence à se préciser une nouvelle façon de gouverner qui peine à convaincre tant l’impatience est grande de voir le nouveau pouvoir produire des résultats palpables en terme d’amélioration des conditions de vie des ménages, de distribution de la justice et de la moralisation de la chose publique.

Le nouvel ordre démocratique vanté par les partenaires extérieurs de la Mauritanie et potentiellement lucratif au vu des offres mirobolantes d’assistance financière du reste du monde s’est rapidement montré fragile, indécis et incapable de créer des loyautés propres distinctes de ce qui existaient auparavant. Les mêmes forces s’affrontaient dans l’ombre d’une constitution qui était plus une échappatoire que le fruit d’un compromis réel, sans véritable arbitre ni de règles claires et bien établies de résolution des conflits. La première crise politique d’envergure, tout a fait normale et classique dans toute démocratie, opposant le Président de la République et des segments importants de sa majorité, a eu raison de l’ordre constitutionnel issu de la transition de 2005-2007.

Le Président de la République a été déposé par un coup d’Etat militaire en bonne et due forme. Une écrasante majorité de députés, de sénateurs et d’élus locaux ont soutenu cette rupture par la force de l’ordre constitutionnel. Le Chef de file de l’opposition démocratique a qualifie le coup « d’opération de rectification » et s’est placé a la tète de ses défenseurs. La presse, la plupart des intellectuels et des groupuscules politiques ont applaudi sinon observé un mutisme troublant qui en dit long sur la confusion qui règne dans les esprits. Seuls les partis politiques et organisations regroupés au sein du Front National pour la Défense de la Démocratie (FNDD) ont refusé le fait accompli et continuent d’appeler au retour à l’ordre constitutionnel. Le peuple est resté neutre ou résigné à son triste sort. L’étranger a condamné le coup avec parfois des formules sévères, souvent avec une connotation diplomatique qui exprime le regret face a une situation qui met la Mauritanie dans une situation d’autant plus difficile par rapport a ses partenaires de développement que ces derniers se sont investis massivement dans le processus démocratique, en ont fait un exemple et se sont engagés à le soutenir.

Depuis le 6 Aout 2007, la Mauritanie vit une impasse constitutionnelle couteuse dont personne ne peut, aujourd’hui, prédire l’issue. Le Président de la République est dans l’incapacité matérielle d’exercer ses fonctions. Son intérim est assuré par le Président du Senat suivant une décision très controversée du Conseil constitutionnel. L’aide internationale, la principale source de financement de développement, est menacée d’interruption et se tarit à grande vitesse. La crise de confiance s’installe de nouveau dans la durée entre les différents protagonistes de la scène politique avec une guerre sans merci que se livrent deux légitimités inconciliables. Une situation qui nous ramène quelques années en arrière et met fin a une expérience démocratique qui, malgré toutes ses insuffisances, constituait un progrès significatif par rapport au passé et offrait des promesses sérieuses d’autocorrection pour le futur.

La crise révèle l’incapacité structurelle du leadership national (classe politique, institutions de l’Etat, organisations de la société civile) à imaginer et soutenir dans la durée un compromis qui préserve la stabilité tout en ouvrant des perspectives réelles aux exclus suivant des règles justes et claires acceptées et respectées par tous. Les politiques préfèrent laisser des questions de fond en suspens de peur de fâcher, d’être taxé de radical, de perdre la face ou simplement d’être exclu de la distribution des postes. Les gouvernants trouvent dans le laxisme et l’impunité une porte de sortie pour couvrir leur forfait et/ou leur incapacité à appliquer la loi et le règlement avec la rigueur requise et produire des résultats. Les institutions de l’Etat continuent a n’être que des foyers de distribution de rentes sous formes de prébendes, de salaires et de concessions publiques suivant les caprices des princes du moments. La société civile malgré toute l’attention qui lui est accordée reste incapable de constituer un pouvoir d’investigation et de formulation des politiques crédible et indépendant des idées et pratiques partisanes.

Il y a une imbrication très forte entre les milieux d’affaires, la haute fonction publique et la classe politique qui empêche toute évolution vers un système de compétition basé sur des règles non personnelles qui assurent l’égalité des chances et permettent a tous de légitimement prétendre a une place autour de la table moyennant l’intelligence et l’effort requis. Trop de gens vivent de l’impunité, des passe-droits et du trafic d’influence et peu de leurs mérites. Cette situation à laquelle le pouvoir démocratique n’a pas trouvé de solution rapide ou tout au moins perceptible à court terme est à la base de la crise actuelle. L’ignorer dans la recherche d’un règlement éventuel procédera de cette mentalité traditionnelle décrite plus haut qui a fait rater au pays plusieurs occasions de rebondir sur des bases solides, la dernière étant la période de transition ou les questions « qui fâchent » ont été remises a plu tard comme si les périodes d’exception n’étaient pas les mieux appropriées pour crever l’abcès.

Toute porte à croire que l’ordre constitutionnel d’avant le 6 Aout 2008 ne sera pas rétabli. A moins d’une intervention militaire extérieure peu probable et de toute façon non souhaitée par aucune des parties en conflit, on ne voit pas comment le Président de la République pourrait retrouver les moyens de l’exercice plein et entier de ses fonctions. D’autre part, le conseil constitutionnel, l’arbitre ultime, vient de rendre un verdict qui, tacitement, donne une valeur juridique au processus politique déclenché par le coup d’Etat de l’été dernier. Les juges de la constitution dans leur volonté de ne pas ajouter à la complexité d’une situation qui l’est déjà trop ont entérinée le fait accompli et ouvert la voie, volontairement ou non, a une interprétation de la loi fondamentale qui permet la déposition par la force d’un Président élu.

Tout indique que le candidat Mohamed Oud Abdelaziz aura le plébiscite populaire qu’il désire le 6 Juin 2009 mais il aura en charge la destinée d’un pays émietté socialement, isolé sur le plan international, politiquement instable, ou la règle de droit n’a pas le dernier mot, qu’il ne pourra gouverner que par une main de fer et un appel constant à l’achat des consciences dans un contexte marqué par une grande pénurie de la ressource. Pour un candidat qui fait de la lutte contre la corruption et les symboles de la gabegie un cheval de campagne, la tache ne sera pas facile.

Les partis démocratiques continueront à s’opposer avec une capacité de nuisance réelle qui n’atteindra pas, cependant, dans l’horizon visible cette masse critique susceptible d’obliger le Pouvoir à changer son agenda. Si rien n’est fait le pays s’achemine a grands pas vers une situation proche de celle qu’il a vécu durant la première moitie de cette décennie avec en prime un isolement international qu’il pourra difficilement supporter. La Mauritanie gagnerait a ce que les acteurs politiques fassent preuve de réalisme pour sauver l’essentiel et créer les conditions d’un retour, sinon a la confiance, au moins a un compromis qui permet aux uns et aux autres de participer a l’œuvre communautaire suivant des règles acceptées par tous.

Mauritania Project appelle les différents protagonistes de la crise actuelle a ne pas saboter l’avenir et a profiter de cette dernière chance offerte par la médiation du Président Wade pour jeter les bases d’un compromis durable qui préserve la stabilité et ouvre des perspectives réelles a toutes les capacités désireuses de participer a l’œuvre de construction nationale. Il ne peut y avoir de stabilité si la règle de droit est constamment bafouée et si dans l’arbitraire le plus absolu une poignée de privilégiés continuent à monopoliser la richesse et les honneurs a travers des mécanismes de coercition et de corruption a grande échelle. Il ne peut y avoir de développement économique, ni de progrès social sans la stabilité qui canalise les énergies et évite que les forces centrifuges, ces instincts anarchiques particulièrement présents dans les gènes de la société mauritanienne, ne viennent a bout des acquis et principalement du plus important d’entre eux, l’Etat.

Mauritania Project rappelle qu’il ne peut y avoir de stabilité et de développement sans la création d’une bureaucratie d’Etat indépendante des fluctuations politiques pour préserver l’intérêt général et éviter que ce dernier ne soit constamment subordonné aux caprices des princes du moment, fussent ils issus d’un processus démocratique parfait. Cela passe par la professionnalisation de la fonction publique, la reforme des institutions de l’Etat suivant les règles impersonnelles de la rigueur, de la compétence et de l’efficacité, et la réglementation des rapports entre le politique et l’administratif.

Mauritania Project attire l’attention sur le cout exorbitant des institutions issues de la constitution de 1991 qui sur ce point n’a pas subi de modifications en 2006. Le Senat, le conseil constitutionnel, le Conseil économique et social, le Conseil islamique, la haute cour de justice, le médiateur de la République, le Chef de file de l’opposition sont des institutions couteuses sans valeurs ajoutées perceptibles. Pour un pays dont les besoins de financements sont énormes, de telles dépenses sont un gâchis qui ne peut se justifier que par la volonté constante des princes du moment de caser leurs lieutenants, protégés et thuriféraires.

Mauritania Project exprime son opposition radicale à toute forme de sanctions économiques qui n’auront pour unique résultat que d’affaiblir davantage l’Etat surtout dans ses fonctions de pourvoyeurs de services publics de base a des populations pauvres déjà largement victimes des caprices d’une classe politique trop absorbée par elle-même pour mesurer les dommages collatéraux que son action induit sur le reste du peuple qu’elle est pourtant sensée servir et défendre ses intérêts.

Mauritania Project est une organisation de la société civile qui se donne pour objectif d’œuvrer pour la consolidation de l’Etat mauritanien, l’amélioration de sa gouvernance et le développement de son potentiel humain.

No comments:

Post a Comment