Monday, October 5, 2009

Reforme educative

Pour une politique éducative ambitieuse

L’année scolaire touche à sa fin. L’occasion de féliciter les heureux, ceux qui ont pu se hisser au top et s’aggriper a l’échelle du succès. C’est aussi le temps de s’appesantir et réfléchir sur le sort de la majorité de nos jeunes pour qui l’école rime avec frustration, corvée et échec. Il est urgent d’apporter des solutions concrètes à un système éducatif national malade de dysfonctionnements structurels et incapable de donner les résultats minimaux qu’on est en droit d’attendre d’un secteur qui engloutit une portion non négligeable du produit national et du budget de l’Etat.

S’il y a un domaine qui a souffert plus que d’autres de la dictature et de la gabegie, c’est bien le secteur éducatif. L’Ecole publique n’existe plus que sur le papier ou sous forme de salles de classes mal construites et sans âmes, ou s’agglutinent, pendant les heures d’études, dans une ambiance chaotique, des enfants laissés a leur pauvre sort par une administration gangrenée par l’incompétence, le manque de ressources et l’absence de vision. Les enseignants sont mal formés, sous-payés, et peu motivés. Les programmes et les manuels scolaires sont inadaptés. Des sommes importantes sont dépensées pour l’acquisition d’outils didactiques jamais utilisés.

Il n’est dès lors pas étonnant que l’Etat continue a dépenser des ressources importantes dans des stratégies très controversées de lutte contre l’analphabétisme, qu’un nombre impressionnant de jeunes quittent l’école chaque année sans autres perspectives que venir grossir les rangs des chômeurs sans diplômes non qualifiés, que seuls un peu plus ou moins de 10% d’une cohorte d’élèves obtiennent le bac, et que les diplômes universitaires constituent rarement un passeport pour des emplois décents.

Au même moment, le projet Education est à sa nième phase. Des millions de dollars ont été dépensés et continuent à l’être sans qu’on sache précisément à quelle fin et au profit de qui. Le département de l’éducation nationale est à sa mième restructuration. Des nouvelles dénominations, une multiplication de structures, la création d’un ministère a part pour l’enseignement supérieur et la recherche mais rien de substantiel n’indique qu’il s’agit de mesures opportunes. Les reformes se suivent et se ressemblent par le peu de débats qui entourent leur élaboration et leur inefficacité a produire des changements qualitatifs. La dernière qui date de 1999 réintroduit le français comme la langue principale d’enseignement mettant une fin brusque mais attendue à deux décennies d’arabisation imposée, dans la pure tradition de l’idéologie nationaliste, sur la majorité des élèves sans considération des conséquences en terme de qualité de l’enseignement et d’adéquation avec le marche du travail. Mais la reforme en vigueur, même si elle corrige une direction erronée et fantaisiste dont le but ultime était de maintenir une population entière dans l’ignorance, n’apporte rien de nouveau pour améliorer les processus d’apprentissages et leurs objectifs. L’école continue à recruter des personnels peu qualifiés et à former en masse des illettrés, comme pour volontairement allonger indéfiniment la durée de vie du département chargé de la lutte contre l’analphabétisme, un projet vieux de plus de vingt ans dont on ne perçoit pas la terminaison a l’horizon.

Cette situation ne peut continuer sans hypothéquer sérieusement tous les efforts entrepris par notre pays pour lutter contre la pauvreté et jeter la base d’un développement durable de ses ressources. Le sursaut national, la suite logique des perspectives ouvertes par le changement du 3 Août 2005 en terme de démocratie et de bonne gouvernance, ne sera effectif que par la mise en œuvre d’un politique crédible visant à rendre à l’école sa place centrale dans le processus de développement et son rôle stratégique de production d’une matière grise de qualité de plus en plus indispensable dans la mécanique de progrès et dans la compétition que se livrent les individus et les organisations pour la création et la répartition de la richesse.

Une politique éducative ambitieuse et volontariste qui mobilisera les moyens qu’il faut pour faire de ces « nomades modernes » des agents de développement capables d’exploiter de manière optimale cette rente providentielle que constitue sept cents kilomètres de façade maritime, un sous-sol riche en minerai, la vallée du fleuve Senegal et ce vaste espace sahelo-desertique propice aux grandes randonnées touristiques, a l’élevage extensif et dans l’avenir, peut être plus proche qu’on ne le pense, a l’exploitation de l’énergie solaire. L’investissement dans l’education est la seule voie de salut pour un pays qui regorge de ressources naturelles mais qui reste incapable de fournir une vie décente a l’écrasante majorité de ces citoyens. Il est a craindre que dans la conjoncture prévisionnelle de vaches grasses (recettes pétrolières et annulation de la dette), on oublie cette verite fondamentale pour lui substituer les grands projets d’infrastructures physiques, a rentabilite douteuse, dont les maîtrises d’ouvrage et d’oeuvre necessitent des competences techniques et managiariales qui ne courent pas les rues a Nouakchott.

Une politique éducative rationnelle qui donne la priorité absolue à l’éducation de base, valorise et intègre les acquis séculaires du système traditionnel des mahadras dans une approche globale de généralisation d’un enseignement fondamental de qualité permettant à tous les mauritaniens d’une génération de maîtriser, de manière irréversible, la lecture et l’écriture et les outils mathématiques de résolution des problèmes à difficulté modérée. Cela correspond au BEPC qui doit constituer le niveau académique minimum garanti a et requit de tous les mauritaniens. Pourquoi pas une loi dans ce sens qui obligerait les pouvoirs publics a se démerder pour atteindre un tel objectif stratégique et forcerait la mobilisation des citoyens a titre individuel et associatif dans cette direction en liant l’acquisition du BEPC a l’obtention de certains droits, par exemple l’emploi dans la fonction publique et pourquoi pas le droit de vote. Il faudrait, en tout cas, qu’a la fin de la prochaine législature, on arrive a un taux de scolarisation de 100% et un pourcentage de réussite au moins de 80% à un examen national sanctionnant la fin du collège, scientifiquement modelé pour mesurer avec le maximum de précision possible le niveau des élèves selon les standards académiques internationalement reconnus. Il n’est pas difficile d’imaginer le benefice d’avoir la grande majorite de mauritaniens capables de lire les journaux, comprendre les indications spécifiées sur un médicament, suivre des instructions écrites relatives à un poste de travail ou une procédure administrative, gérer convenablement un petit business ou progresser dans une carriere professionnelle. Une telle situation permettra une diffusion du savoir et des techniques inconnue dans notre pays et une explosion de la productivité à tous les niveaux de l’activité économique et sociale. C’est seulement ainsi qu’on pourrait espérer éradiquer la pauvreté et l’analphabétisme et hisser notre pays à un niveau acceptable sur l’échelle du développement humain.

Une politique réaliste qui reconnaît l’opportunité de la sélection a l’entrée des Lycées et de l’université afin d’assurer un minimum de qualité indispensable pour la crédibilité de la formation et aussi de coller, autant que possible, aux besoins/potentiels des élèves au regard de l’offre disponible en terme d’éducation et d’emplois. Il ne sert a rien de former au rabais des lycéens dont plus de 80% n’auront pas le bac et accueillir des étudiants dans une université qui n’offre pas les garanties minimales d’une formation sérieuse représentant un reel plus sur le marche de l’emploi.

Une telle politique requière des moyens considérables que la puissance publique seule ne peut mobiliser. Elle appelle nécessairement l’implication forte des associations locales, des organisations non gouvernementales et le secteur privé mais sa réussite dépendra en grande partie de la nature et de la qualité du leadership qu’inspire l’action de l’Etat. Elle commence par une nette valorisation de la fonction d’enseignant et une amélioration significative de la gouvernance du secteur de l’Education Nationale.

Revaloriser la fonction d’enseignant
L’écrasante majorité des enseignants du primaire ont un niveau d’éducation inférieur au baccalauréat. Nombreux de ceux qui enseignent a un niveau secondaire n’ont pas la maîtrise et/ou sont en charge de disciplines pour lesquelles ils ou elles n’ont pas été formés, comme ce titulaire de maîtrise d’économie qui enseigne la physique. Pour tous, sauf peut être les professeurs d’université, la paye est dérisoire.

Dans les années soixante et soixante dix, les enseignants étaient les mieux payés de la Fonction Publique, bénéficiait d’un emploi décent socialement reconnu et prisé par une bonne partie de la population éduquée. Un traitement favorable qui compensait en grande partie le niveau de qualification des enseignants et qui a permis aux générations post indépendance de bénéficier d’une éducation qui n’avait rien à envier a celle des pays de la sous-region.

Depuis la fonction a perdu beaucoup de son attrait dû principalement à l’érosion dramatique du pouvoir d’achat des fonctionnaires en général et des enseignants en particulier et d’une culture « du vol » qui a perverti les valeurs et déconnecté le savoir des voies d’acquisition de la richesse et de la reconnaissance sociale.

Aujourd’hui, ceux qui postulent pour les emplois d’enseignants le font pour la plupart par défaut, souvent pour la fiche budgétaire et les possibilités de nominations qu’elle offre en Conseil de Ministres, pour se faire détacher quelque part ou tout simplement pour obtenir un salaire et continuer a vaquer a ses occupations habituelles. Ne mettent pieds en classe que les sans « pistons », frustrés de ne pas en avoir et/ou qui se sont fait a l’idée qu’il n’ont d’autres choix que de prendre leur mal en patience en attendant des jours meilleurs. Le devenir des élèves n’est pas la première des priorités et l’enseignant est certainement le dernier pour lequel le blâme doit être adressé.

On ne mettra pas fin a cette situation seulement par les classiques méthodes de cœrcision: suspension/mise en demeure/licenciement. Non seulement, elles ont atteint leur limite mais aussi le niveau d’attrition est tellement élevé que le plus zélé des gestionnaires de personnels se sent impuissant face à l’immensité de l’évasion. Il est urgent d’agir sur les principaux paramètres de motivation que sont les salaires et les profils des enseignants, et les conditions de travail.

Niveler par le haut les salaires et les profils des enseignants

Un professeur de l’enseignement supérieur travaille en moyenne 8 heures par semaine mais recoit un salaire trois a quatre fois plus elevees qu’un professeur de Lycee qui travaille en moyenne 18 heures par semaine. Le premier a certes un niveau superieur ou egal au DEA (Bac + 5), une a trois annees de plus que le niveau de la maitrise requis pour enseigner au niveau secondaire. Cela ne peut cependant justifier une telle différence de traitement qui tend a créer une pression artificielle sur l’emploi a l’université et frustrer une bonne partie des enseignants du secondaire pour qui il suffit seulement d’une année d’étude pour être en mesure de réclamer le bénéfice du statut des professeurs de l’enseignement supérieur.

La prime de l’Université est relativement trop importante et joue un effet d’éviction au détriment des Lycées et des écoles primaires. Il y a qu’a voir ces centaines de diplômées de troisième cycle a la recherche d’emploi ou vacataires dans les différentes facultés de Nouakchott qui préfèrent attendre indéfiniment un hypothétique recrutement a l’université plutôt que de sa faire embaucher dans un Lycée, faisant perdre au pays le bénéfice d’une ressource humaine rare et chère.

Loin de moi l’idée de suggérer que les professeurs d’université est surpayée. L’écart est certes disproportionnel mais sa correction ne doit être qu’un nivellement par le haut limitant a au plus 10% la différence entre le traitement d’un détenteur de DEA et celui d’un maîtrisard quelque soit par ailleurs le niveau dans lesquels ils enseignent.

Les salaires des enseignants ne doivent être différentiées surtout en début de carrière que par le niveau d’éducation. Un docteur qui choisit d’enseigner dans une école primaire quelque soit ses motivations (passion pour les enfants, de l’intérieur, de la badia qu’importe) doit percevoir un salaire compatible avec son niveau d’éducation, presque le même que celui dont la préférence va au Lycée ou à l’Université. Ce n’est évidemment qu’un cas limite - la majorité des docteurs choisiront d’enseigner 8 heures a l’université au lieu de 18 dans un lycée ou 30 dans une école primaire pour avoir suffisamment de temps libre pour faire de la recherche ou d’autres activités plus lucratives – pour indiquer que le système dans son ensemble gagnerait a favoriser l’injection de diplômées de haut niveau dans tous les cycles de l’enseignement du fondamental au supérieur et évoluer progressivement vers une situation ou tous les éducateurs auront au minimum la maîtrise, le niveau minimum requis dans tous les pays qui vise un système éducatif de qualité.

L’Etat doit stopper de recruter des enseignants qui n’ont pas le bac quitte a en importer en attendant que l’offre locale s’améliore et inciter ceux qui sont déjà dans le système de l’obtenir pour être en mesure de bénéficier d’études universitaires indispensable dans le processus de formation des enseignants. Le but serait, a terme, d’avoir une population enseignante a trois niveaux : maîtrise pour les débutants, master ou bac +5 pour les professeurs certifiées de Lycées et les maîtres certifies des écoles, doctorat pour les professeurs d’université.

Je crois qu’il est possible et opportun de revoir les critères de certification pour les maîtres d’écoles et de professeurs de lycée pour y inclure des dispositions comparables a celles contenues dans le statut (catégorie A1, les détenteurs de diplômes de DEA) des professeurs de l’enseignement supérieur. Tous les enseignants devront alors avoir un minimum de maîtrise et leurs salaires significativement augmentés. Il y aurait l’un moyen formidable de susciter des vocations et d’offrir des perspectives d’emploi décent pour les diplômées de l’enseignement supérieur, particulièrement les sortants de la faculté de lettres qui forment le gros des diplômes chômeurs.

L’amélioration des salaires et des profils des enseignants est une étape cruciale dans le processus de modernisation de l’école mauritanienne. Elle doit cependant être couplée avec une action en profondeur visant à renforcer les capacités de gestion de notre système éducatif.

L’amélioration de la gouvernance du secteur : créer un corps d’administrateur de l’éducation nationale

La gestion de l’éducation nationale à tous les niveaux (central, déconcentrée et décentralisée) est assurée, dans la plupart des cas, par des enseignants nommés a des postes d’administration selon des critères divers qui vont de l’ancienneté au pure favoritisme en passant par la corruption et le népotisme. La nomination donne droit à une indemnité faible mais prisée dans un système marqué par un niveau de salaires très bas.

Ces enseignants managers ne reçoivent aucune formation initiale en gestion/administration et ont peu de chance d’en bénéficier durant leur carrière. Ils doivent s’appuyer uniquement sur leur intuition et le bon sens si par chance ils en ont pour traiter des questions parfois complexes dont l’incidence est loin d’être négligeable sur la qualité de l’éducation offerte à nos jeunes et à nos adultes.

Ce manque de spécialistes et d’experts dans la gestion de l’éducation nationale est l’un des obstacles majeurs à la conception et à la mise en œuvre d’une stratégie éducative nationale moderne et performante. Un excellent enseignant ne fait pas forcement un bon manager. Cela dépend de ses motivations personnelles, de ses qualités de leadership et aussi de la qualité de la formation initiale et permanente dont il bénéficie dans le cadre du processus de promotion. S’il ne fait pas de doute que ces spécialistes et experts doivent continuer à se recruter parmi les enseignants, la spécificité de leur mission et son caractère technique et professionnelle milite pour la création d’un corps particulier d’administrateurs de l’éducation Nationale. L’accès à ce corps devra se faire par un concours organisé selon les règles de l’art dont les lauréats bénéficieront d’une formation sérieuse en gestion des établissements scolaires et universitaires pour les préparer à occuper les différents postes au niveau central, déconcentrée et décentralisée.

La présence de professionnels bien formés à tous les niveaux (de la classe au Ministre) du système éducatif constitue un saut qualitatif dont l’impact positif ne sentira pas seulement en classes et dans les communautés locales servies par ce réseau dense d’administrateurs et d’enseignants mais aussi sur la capacité des pouvoirs publics de concevoir et mettre en œuvre des politiques éducatives appropriées, efficaces et efficientes.

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